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AVA

un film de Léa Mysius.

 

Que peut-il se passer dans la tête et dans le cœur d'une adolescente de 13 ans le jour où un ophtalmologue lui fait savoir qu'elle est atteinte d'une maladie qui la menace de cécité ? Déjà son champ de vision s'est rétréci et, bientôt, elle ne pourra plus rien distinguer quand la lumière sera trop faible. A terme, elle risque de perdre totalement la vue. Tel est le diagnostic auquel doit se confronter Ava (Noée Abita, formidable révélation de ce film). Or, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce ne sont ni l'accablement ni la peur qui la submergent mais plutôt un grand élan de vivre, de découvrir, de profiter de ce qui lui reste de lumière sans trop songer au lendemain.

Ava n'est pas pour autant une écervelée : ses craintes, elle les apprivoise, d'une certaine façon, en peignant des cadres noirs qui semblent figurer le champ de sa vision qui s'amenuise. Elle les rend également dociles, suggère le film, en adoptant le grand chien noir qui, dès la première scène, fend la foule des estivants s'ébattant sur une plage pour venir se repaître de la portion de frites qu'elle avait posée sur son ventre. Un animal qu'elle ira jusqu'à kidnapper, faisant de lui le guide imprévisible qui l'accompagne et la conduit de l'enfance à une vie plus adulte.

Pour accomplir ce passage, il faut qu'Ava se risque à extérioriser ses sentiments, quitte à se montrer, par moments, maladroite. La richesse de sa vie intérieure est attestée par les notes rédigées sur les pages de son journal intime, mais il lui est nécessaire de mettre de la distance entre sa mère (Laure Calamy) et elle. Une mère intrusive, « libérée », étouffante, excessive, qui, cherchant à la « décoincer », risque de provoquer l'effet contraire.

Son épanouissement, Ava le trouve finalement davantage au contact de celui à qui appartient le chien noir qu'elle a essayé de dérober, Juan (Juan Cano), un gitan obligé de vivre à l'écart de sa propre communauté. L'adolescente se rapproche de plus en plus de lui, découvrant à cette occasion un autre rétrécissement de champ de vision, social et politique celui-là, se fondant sur les préjugés et les traitements humiliants réservés aux gitans et autres gens du voyage.

Avec habileté, tout en accompagnant les transformations physique et mentale d'Ava, la réalisatrice ne craint pas de passer d'un genre à un autre au fil du récit, partant d'une approche quasi naturaliste pour parvenir jusqu'à des scènes d'action dans le camp des gitans en passant par des séquences oniriques et ludiques, et même parfois surréalistes. Le lien entre ces genres se fait tout naturellement, grâce à la jeune actrice Noée Abita : sa performance est époustouflante. Malgré son sujet empreint de gravité, le film déborde d'énergie et de vitalité presque du début à la fin : qu'elle se baigne, soigne Juan qui s'est blessé, joue avec lui à détrousser des nudistes (!), se mette à danser ou s'introduise dans le camp des gitans, Ava, tout en se libérant de ses angoisses, se donne sans compter et insuffle partout son appétit de vivre, de réenchanter un monde qu'elle apprend à appréhender non plus grâce à la vue mais au moyen de ses autres sens.

Plein de superbes idées de mise en scène, ce premier film de Léa Mysius passionne et séduit irrésistiblement.

8,5/10

Luc Schweitzer, ss.cc.

 

N. B. : Il convient de préciser tout de même que quelques scènes du film sont susceptibles de heurter la sensibilité de certains spectateurs.

Tag(s) : #Films
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