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A LA MERVEILLE

 un film de Terrence Malick.

Disons-le d’emblée:  ce sixième film de Terrence Malick est un chef d’oeuvre d’une stupéfiante beauté!  Plus encore que le film d’un philosophe (Malick est certainement nourri de philosophie et il l’a même enseignée dans sa jeunesse),  il s’agit d’un film de poète.   Depuis son premier film (« La Balade sauvage »en 1973),  il y a indéniablement chez ce réalisateur une propension à user de la caméra,  mais aussi des sons et des mots,  à la manière d’un poète.

Ce penchant trouve maintenant son point d’orgue,  il s’épanouit comme jamais,  et Malick nous livre des films inouïs,  des films comme peuvent les rêver les poètes,  des films qui hantent l’esprit et le coeur longtemps après qu’on les a vus,  des films qu’on verra et reverra comme on revient toujours aux grandes oeuvres poétiques sans jamais s’en fatiguer.   Ce penchant vers un cinéma qui s’apparente à la fois au poème et à la prière s’épanouissait déjà dans « The tree of life »,  le précédent film du réalisateur,  et se poursuit aujourd’hui avec « A la merveille »,  à tel point qu’on a le sentiment d’avoir affaire au deuxième volet d’un diptyque.   Certes il y a des différences notables entre les deux films,  certes on ne retrouve pas ici ce qui irritait tant certains critiques dans « The tree of life »(cette ampleur lyrique,  cette métaphysique qui,  bien évidemment,  n’a rien de commun avec les nigauderies d’un Paulo Coelho!),  mais les deux films épousent sans conteste une même esthétique,  usant en particulier avec abondance des voix off.

Poème et prière donc,  mais dans la nuit! En fait,  ce film de Terrence Malick a des accents mystiques,  non pas tant au sens de l’extase qu’à précisément celui de la nuit! L’extase,  d’une certaine façon,  est présente cependant,  lors d’une des premières séquences du film,  qui nous montre de manière sublime un couple (Ben Affleck et Olga Kurylenko) visitant le Mont-Saint-Michel.   Là,  dans les hauteurs du Mont,  à la Merveille,  il y a le bonheur d’aimer.   Mais,  aussitôt après,  nous voyons Olga Kurylenko patauger dans la vase de la baie du Mont-Saint-Michel et nous savons que ce bonheur,  que cette extase d’aimer sont déjà en péril.

La suite du film nous le montrera en effet,  nous le fera comprendre:l’amour est là mais on ne sait pas le garder,  on se déchire,  on se sépare,  on se défait,  on va d’Olga Kurylenko à une autre femme (Rachel McAdams) et tous ces personnages,  en quelque sorte,  errent dans la nuit.   Un autre personnage intervient,  à plusieurs reprises,  un personnage qui,  peut-être,  donne une clé d’interprétation du film:  celui d’un prêtre (Javier Bardem) en proie au doute et à ce qu’il pense être son incapacité d’aimer.   Il y a beaucoup de souffrance chez ce prêtre qui,  lui aussi,  se perd ou croit se perdre dans une sorte de nuit mystique.   S’agit-il pour autant d’un film désespéré? Je ne le pense pas! C’est le film de ceux qui doivent espérer contre toute espérance.

On entend pendant une séquence du film la voix off du prêtre en question,  de ce prêtre perdu dans sa nuit,  appeler le Christ,  lui demander de venir en lui et autour de lui,  partout.   Est-ce là la prière de qui n’a plus aucune espérance? De plus,  ce prêtre,  qui croit avoir perdu sa capacité d’aimer,  continue cependant d’aimer et de servir sans même peut-être sans rendre compte.   On le voit à un moment visiter des prisonniers,  leur apportant pardon et réconfort.   Et quand,  dans une autre séquence,  ce prêtre annonce à certains de ses paroissiens qu’il va sans doute devoir les quitter car il est nommé ailleurs,  l’un de ceux-ci,  dont on voit qu’il souffre d’un handicap mental,  lui répond qu’il le regrettera beaucoup:« on a grand besoin de prêtres comme vous ici »,  lui dit-il.   Toute proportion gardée,  ce prêtre me fait songer à Mère Térésa,  dont on sait à présent que,  pendant de nombreuses années,  tout en continuant à servir les pauvres,  elle souffrit cruellement de doutes concernant la foi.   Le prêtre que nous propose Malick,  de même,  persévère dans le service des autres,  tout en étant la proie de cette nuit obscure…

Tel est ce prêtre,  tels sont ces personnages,  que l’on pourrait caractériser en citant un beau vers de Victor Hugo,  dont Julien Green avait repris les premiers mots pour en faire le titre d’un de ses romans:  « Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière ». 9/10

  Luc Schweitzer,sscc

Tag(s) : #Films
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