un livre de Maurice Genevoix.
J'ai déjà lu beaucoup d'écrits et de récits concernant la Grande Guerre, mais, curieusement, je n'avais pas encore lu l'un des ouvrages les plus réputés, celui de Maurice Genevoix. Cette lacune est à présent réparée. Et quelle lacune c'était! Car "Ceux de 14" est sans conteste un livre de premier ordre, un des témoignages les plus forts et les plus poignants jamais écrits sur la guerre de 14.
Genevoix n'y fait quasiment pas de littérature. On a le sentiment, en lisant cet ouvrage, qu'il a été rédigé dans le feu de l'action, au moment même où les faits sont racontés. C'est écrit à la manière d'un journal, sans fioritures et sans hypocrisie, sans même dissimuler les ordres invraisemblables que donnent parfois les gradés! Quant aux dialogues, ils donnent l'impression d'avoir été pris sur le vif tant ils sonnent vrais ! C'est tout juste si l'on n'entend pas, quelque part dans sa tête, les accents des différents protagonistes, ceux des soldats des quatre coins de la France mêlés aux accents des villageois de la Meuse.
L'ouvrage est divisé en quatre parties: "Sous Verdun", "Nuits de guerre", "La Boue" et "Les Eparges". Les trois premières parties décrivent tantôt les faits d'armes, tantôt l'ennui dans les tranchées et dans la boue, tantôt les moments de répit et de repos que s'accordaient les poilus en allant dans les villages d'alentour. Ils y étaient en général assez bien accueillis, trop même par certains profiteurs de guerre qui n'hésitaient pas à leur vendre à des prix prohibitifs des denrées alimentaires ou de l'eau-de-vie. Heureusement qu'à la bonne saison il y avait moyen de se procurer sans un sou de pleines poignées de quetsches ! La quatrième partie ("Les Eparges") est de loin la plus terrifiante: Genevoix y raconte l'horreur des combats avec un tel réalisme, un tel souci du détail, qu'on en reste effaré. Pendant des jours et des nuits, sans discontinuer, le champ de bataille des Eparges a été labouré par les bombes; pas un espace qui ait été épargné. Des soldats morts par dizaines, par centaines, certains pulvérisés, déchiquetés... On se demande comment Genevoix et quelques autres ont pu en réchapper. Ces pages sont ahurissantes, mais il faut les lire pour sentir ne serait-ce qu'un tout petit peu l'épreuve inimaginable subie par les poilus.
On ne peut lire un tel livre sans être remué jusqu'aux entrailles et sans éprouver une détestation radicale de la guerre. Il me semble qu'un téléfilm dont le scénario s'inspire des écrits de Maurice Genevoix sera diffusé en automne à la télévision, pour le centenaire de la Grande Guerre. Je doute que ce film puisse rendre compte de manière totalement satisfaisante de la puissance atroce de ce livre. Mais peut-être cela donnera-t-il l'idée à l'un ou à l'autre d'en entreprendre la lecture : c'est un moyen sûr et bouleversant de rendre hommage à ceux qui ont versé leur sang dans les tranchées de Verdun.
Luc Schweitzer, sscc