Un film de Pablo Trapero
Ce devait être le plus grand hôpital d’Argentine. Mais le projet, plusieurs fois entrepris, a fini par être complètement abandonné. Il n’en reste qu’une carcasse de béton que l’on a baptisé du beau nom d’ »Elefante blanco ». Les miséreux, bien sûr, n’ont pas tardé à investir les lieux, créant ainsi un gigantesque bidonville à proximité de Buenos Aires. Lieu de toutes les pauvretés et de toutes les violences, gangrené par les narco-trafiquants, et dans lequel se risquent parfois, non sans brutalité évidemment, les forces de police.
Tel est le décor du film poignant, impressionnant, beau et terrible à la fois, que nous livre Pablo Trapero. Que reste-t-il à ces gens, que reste-t-il à ceux qui vivent là, dans ce bidonville? Eh bien, l’espoir suscité par ceux qui ont choisi ou qui ont accepté d’y vivre avec eux:quelques prêtres et une assistante sociale…Le réalisateur s’attache à suivre particulièrement les faits et gestes de deux prêtres:Julian et Nicolas, dont on sait, dès le début du film, qu’ils sont tous deux des êtres fragilisés, Julian par la maladie, Nicolas par la culpabilité, par la honte d’avoir échappé en se cachant à un massacre perpétré dans la jungle.
Voici donc réunis ces deux hommes, ces deux prêtres, engagés l’un et l’autre dans une mission périlleuse, au cœur des misères et des violences. Comment se comporter ? Quelle attitude adopter avec les trafiquants de drogue ? Le réalisateur nous montre la vie de ces prêtres avec un réalisme quasi documentaire. On les voit prier, célébrer les sacrements, entretenir la chapelle, visiter les uns et les autres, protéger les faibles en cas d’irruption de la violence. On les voit s’interroger, débattre, se quereller, douter, défaillir. Malgré la maladie qui le ronge, le plus solide des deux est manifestement Julian. Nicolas, lui, vacille au point qu’il cherche refuge ou consolation dans les bras de la belle assistante sociale.
Malgré cela (ou à cause de cela), il me semble qu’on a rarement vu au cinéma des acteurs interpréter des rôles de prêtres de manière aussi juste, aussi convaincante. Foi, dévouement, sacrifice de soi vont de pair avec les blessures et les fragilités. Ce film puissant, inoubliable, nous fait pressentir et ressentir ce que peuvent être les vies, ce que peuvent être les engagements et les difficultés d’hommes et de prêtres partageant les conditions de vie des laissés-pour-compte. 9/10
Luc Schweitzer,sscc