un film de Ken Loach.
Fidèle, contre vents et marées, à ses idéaux de gauche, Ken Loach nous est revenu, au dernier festival de Cannes, avec ce film qui fait, en quelque sorte, suite au "Vent se lève", sa Palme d'Or de 2006. Après avoir évoqué, dans ce film, la guerre d'indépendance irlandaise et la guerre civile qui lui succéda au début des années 1920, le cinéaste anglais se penche ici sur une période apparemment plus calme et plus paisible de l'histoire de l'Irlande, dix ans plus tard, au début des années 30.
C'est en 1932 exactement que revient dans son coin d'Irlande un nommé Jimmy Gralton, après un exil forcé d'une dizaine d'années aux Etats-Unis. Il n'a l'intention que de retrouver sa mère, peut-être aussi celle qu'il a aimée autrefois, et de mener une vie tranquille. Mais, dans cette campagne profonde de l'Irlande, beaucoup s'ennuient et sollicitent Jimmy afin qu'il rouvre la salle qu'il animait dans le passé et qui est à présent délabrée.
Après s'être fait quelque peu prier, Jimmy s'y résoudra. La salle, remise à neuf, servira aussi bien de lieu de rencontre, d'éducation, de sport que de salle à danser. Aussitôt, on s'y presse, qui pour parler des événements du monde et de l'Irlande, qui pour lire ou écouter des poèmes de Yeats, qui pour pratiquer la boxe ou d'autres activités. Et les soirs, il faut voir les foules qui s'y donnent rendez-vous, non seulement pour danser les danses locales, mais pour s'y déhancher au son des musiques de jazz que Jimmy n'a pas manqué de ramener de son exil à New-York.
Toute cette agitation, bien sûr, ne passe pas inaperçue et il y en a pour s'en inquiéter, à commencer par le Père Sheridan, le curé du lieu, et par les grands propriétaires terriens. Comment! Voilà des gens qui osent s'affranchir de l'autorité de l'Eglise! Comment! Voilà des gens qui ont l'audace de penser par eux-mêmes, de s'auto-éduquer et de revendiquer des droits! Comment! En voilà qui ont le culot de pratiquer des danses lascives au son d'une musique assourdissante! Au lieu des tristes mines qu'on voit à l'église, voilà les figures réjouies et les rires de ceux qui font la fête! Le contraste est saisissant en effet: d'un côté, le curé qui, du haut de sa chaire, fait régner la peur et menace les récalcitrants, allant même jusqu'à égrener leurs noms pour les désigner à la vindicte; de l'autre, des hommes et des femmes respirant l'air de la liberté, heureux d'échanger, de vivre, de fêter...
Ce tableau, qui pourrait paraître caricatural, Ken Loach et son scénariste ont su lui donner quelque nuance. Le Père Sheridan sait aussi, à l'occasion, reconnaître les qualités de son adversaire. Et surtout, il est accompagné d'un vicaire qu'on devine réticent et peu enclin à suivre tous les diktats du curé. Reste cependant un combat sans merci: l'Eglise et les riches, main dans la main, pour en finir, une fois pour toutes, avec ces "communistes" et avec ces "athées"!
Une des meilleures scènes du film nous montre l'audacieux Jimmy Gralton allant à la rencontre de son ennemi, le Père Sheridan, et dans le lieu même où ce dernier fait sentir le mieux son pouvoir: non seulement l'église mais, à l'intérieur de celle-ci, le confessionnal! Mais ce n'est pas pour confesser ses péchés que Jimmy s'y présente, c'est pour reprocher au curé son pharisaïsme!
N'a-t-il pas raison et ne devons-nous pas entendre, si nous sommes membres de l'Eglise, ce film comme une mise en garde? Gardons-nous bien de rêver à une Eglise puissante ou triomphante telle qu'elle sévissait il n'y a pas si longtemps en Irlande et ailleurs! Chassons toute nostalgie de nos coeurs et de nos pensées! Quand l'Eglise exerce trop de pouvoir, elle a vite fait d'être gangrenée par le pharisaïsme! Si Eglise il y a, que ce soit dans l'humilité, le service, la pauvreté et la joie.
Ce beau film de Ken Loach, injustement snobé au dernier festival de Cannes, nous y invite! Nous n'avons nul besoin de ministres tonitruant tristement dans leur chaire contre les soi-disant désordres du monde. Nous avons besoin de chrétiens courageux et joyeux allant à la rencontre de tous, y compris de ceux qu'on a vite fait de juger perdus! Jésus mangeait avec les pécheurs et on le lui reprochait. Le Père Sheridan, s'il n'avait pas été un ministre imbu de lui-même et sûr de son bon droit, s'il avait été un véritable disciple du Christ, serait allé manger, rire et même danser à la salle de Jimmy!
8/10
Luc Schweitzer, sscc