un film de Yôji Yamada.
Quand, après la mort de la vieille tante Taki, l'on retrouve parmi ses affaires des cahiers dans lesquels elle avait rédigé son autobiographie, il en est qui ne sont pas surpris. Son petit-neveu et, dans une moindre mesure, sa petite-nièce avaient été mis dans la confidence depuis longtemps. C'est d'ailleurs à la demande du premier que Taki avait entrepris de faire le récit de sa vie.
Une vie banale, pourrait-on dire, mais à une époque qui ne l'était nullement. Nous voilà donc transportés dans les années 1930 et dans un Japon belliciste qui, très vite, va basculer dans la guerre, d'abord avec sa voisine la Chine puis avec les Etats-Unis. Pour Taki cependant, la priorité reste de trouver un emploi de domestique. En ces années-là, explique-t-elle, les filles de la campagne n'avaient guère d'autre solution: les plus jolies pouvaient certes être recrutées comme geishas mais, pour les autres, il n'y avait d'issue que dans la domesticité en attendant un éventuel mariage.
Taki a de la chance: après un passage éclair chez un écrivain, elle entre au service d'une famille bourgeoise de Tokyo composée de trois membres: M. Hirai, sa femme Tokiko et leur fils âgé de 6 ans. Taki prend place dans la maison au toit rouge, celle qui donne son titre au film, elle s'attache très vite à l'enfant et se plaît bien avec ses maîtres. Avec Tokiko s'établit même au fil du temps une relation affectueuse et complice.
Malgré les bruits de guerre, tout semble paisible et tranquille. Mais la survenue d'Ikatura,un jeune collègue de travail de M. Hirai va perturber ce bel ordonnancement. Le jeune homme devient vite un familier de la maison, si familier et si présent que Tokiko en vient à s'éprendre de lui. Taki, si proche de sa maîtresse, ne peut pas ne pas se rendre compte de ce qui se passe. Elle observe, elle est le témoin malgré elle de cette passion interdite. Mais il faudra compter avec la guerre et avec un Japon qui envoie, l'un après l'autre, ses ressortissants au combat. Dans un temps où, comme l'explique Taki, l'individu est dépouillé de son libre-arbitre, même un jeune homme aussi peu apte à se battre qu'Ikatura risque d'être enrôlé. Quant à Taki, ne sera-t-elle pas dans l'obligation d'être davantage qu'un simple témoin et de devoir prendre de difficiles décisions?
Réalisé par Yôji Yamada, un cinéaste peu connu chez nous mais très apprécié dans son pays, ce superbe mélodrame prend l'apparence d'un hommage au cinéma de jadis. Quel bel hommage cependant! Certes on retrouve ici beaucoup de codes du mélodrame à la japonaise, mais tout est si bien filmé et mis en scène que c'est comme si on les redécouvrait. Et puis, sous ses apparences de film sage, cette oeuvre laisse paraître aussi, avec subtilité, son esprit critique: elle se perçoit comme une dénonciation de l'aveuglement des politiques menant leur pays au désastre mais aussi du sort réservé aux femmes dans le Japon d'autrefois. Une oeuvre apparemment plus humble et moins subversive que "Le Journal d'une femme de chambre" de Benoît Jacquot qui sort au même moment sur nos écrans, mais une oeuvre bien mieux réalisée et bien plus captivante!
8/10
Luc Schweitzer, sscc