Un film de Miguel Gomes.
C'est donc avec "L'Enchanté" que s'achève l'impressionnante trilogie orchestrée par Miguel Gomes, trilogie qui a conquis non seulement les écrans mais les coeurs des spectateurs durant tout cet été. Peut-être conviendrait-il de séparer le sous-titre en deux, comme le faisait Jacques Demy: "en chanté"! Car ce troisième volet est tout entier habité, comme possédé, par la magie du chant et de la danse: chants populaires, hymne national du Portugal et même un brin de heavy metal! Il y a deux parties bien distinctes dans ce film, la première toute de virtuosité et la deuxième plus contemplative et plus proche du documentaire. Tout d'abord, c'est Schéhérazade en personne qui apparaît comme le personnage pivot de l'oeuvre, Schéhérazade qui, dans un Bagdad réinventé, tout en admettant ne rien connaître du monde extérieur, se charge de raconter et de raconter encore, passant d'une histoire à l'autre afin d'enchanter autant qu'il est possible un monde attristé et dangereux. Tout est possible à Miguel Gomes, qui ne se prive d'aucune magie du cinéma, pour donner à percevoir la beauté, la grâce, l'innocence de l'enfance. Et les histoires s'enchaînent, depuis celle d'un homme réputé pour sa fécondité jusqu'à celle d'un voleur en passant par celle du génie du vent. Nous étions ravis par ces histoires fabuleuses... Mais voici que le réalisateur nous ramène non seulement à son cher Portugal mais à des barres d'immeubles sans attrait de la banlieue de Lisbonne. Dans ces quartiers autrefois constitués de véritables bidonvilles et aujourd'hui de ces logements sociaux sans âme vivent bien sûr des gens de peu. Après l'enchantement de la première partie du film, va-t-il donc falloir à présent déchanter? Point du tout! C'est par des chants d'oiseaux que le réalisateur nous ensorcelle! Pas de clichés sur la banlieue, mais une surprise: dans ces barres d'immeubles vivent des "pinsonneurs", autrement dit des oiseleurs qui, après avoir attrapé des pinsons, les élèvent en cages, leur apprennent à chanter (on dit alors que les oiseaux sont "retournés") et les font participer à des concours de chants. C'est tout un art que d'élever et de prendre soin de ces pinsons. Minutieusement, longuement, Miguel Gomes nous invite à découvrir et à suivre pas à pas ces passionnés (si passionnés que l'un d'eux a même fait amputer d'une patte un oiseau blessé afin de lui sauver la vie)! C'est sur ces scènes étonnantes que l'on quitte à regret ces "Mille et Une Nuits". Du fait de la crise, la plupart des portugais se sont appauvris, nous rappelle Miguel Gomes au début de chacun des trois films. C'est vrai bien sûr, mais c'est vrai aussi que tout n'est pas perdu. Miguel Gomes nous a donné du peuple portugais l'image d'un peuple qui résiste et on l'en remercie!
8/10
Luc Schweitzer, sscc.