un roman de Boualem Sansal.
Rien ne fait reculer l'écrivain algérien Boualem Sansal. Ni les intimidations ni les menaces ni les mises à l'écart n'ont réussi à le contraindre au silence. Dans un de ses romans, « Le Village de l'Allemand » (2008), il n'a pas craint de comparer les islamistes radicaux porteurs d'un projet clairement totalitaire aux nazis. Et il récidive, de livre en livre, proposant, dans ce nouveau roman, sorti en 2015 et à présent édité en format de poche chez Folio, en s'inspirant du célèbre « 1984 » de George Orwell, la vision d'un monde futur totalement gouverné par des « religieux ».
Cet empire théocratique se nomme l'Abistan et tire son nom de son prophète, Abi, lui-même désigné comme le « délégué » de Yölah, puisque tel est désormais le nom par lequel on nomme le dieu unique auquel on est tenu de se soumettre. Dans ce monde nouveau, toute vie, toute pensée sont régentées par des dispositions des plus contraignantes. La surveillance d'autrui s'organise de manière radicale et la seule langue autorisée pour les échanges a été conçue pour empêcher l'autonomie de la pensée. Ce régime, née à la suite de cataclysmes, a été engendré dans la peur et se maintient par la terreur qui fait les hommes soumis. Dès que pèsent sur un individu ou un groupe des soupçons de subversion, même infimes, le verdict ne tarde pas à tomber : tout récalcitrant, quel qu'il soit, est exécuté publiquement. Hommes, femmes, enfants, tout le monde se plie au bon vouloir des « religieux », aux prières multiples qu'ils imposent, aux tenues qu'on est contraint de porter, aux interdits qui maintiennent dans l'ignorance.
En vérité, bien sûr, tout n'est pas aussi contrôlé que voudraient le faire croire ceux qui dirigent ce monde. Il existe des zones qui n'ont pas pu être encore nettoyées, des ghettos où sont parqués des renégats. Et puis, surtout, il court des rumeurs à propos de frontières. Ne reste-t-il vraiment qu'un seul monde, qu'un seul empire, l'Abistan ? N'y a-t-il pas quelque part une frontière à trouver et d'autres peuples à découvrir ?
Ces questions interdites, un individu nommé Ati se les pose. Quelqu'un ose mettre en doute la propagande du régime et partir à la recherche d'une autre vérité que celle qu'on cherche à imposer à tous les esprits. Un homme se met en quête des frontières, car il en est de deux sortes : la frontière géographique au-delà de laquelle vivent peut-être d'autres peuples, mais aussi la frontière du temps. Car, en Abistan, tout commence en 2084 et personne ne sait rien de ce qui s'est passé avant.
C'est un roman glaçant, terrifiant, qu'a écrit Boualem Sansal, comme un cri d'alarme pour nous mettre en garde contre le pire. Mais c'est aussi un roman d'espoir qui nous rappelle que, même dans un empire totalitaire comme celui qu'a imaginé l'auteur, il peut encore subsister, ici ou là, malgré la terreur, des esprits curieux, des hommes cherchant la liberté.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.