un roman de Mario Vargas Llosa.
Le grand écrivain péruvien raconte ici les destinées de Flora Tristan et de son illustre petit-fils Paul Gauguin. Hormis ce lien de parenté, il y a, me semble-t-il, entre l'un et l'autre, deux points communs. Tous deux sont des êtres blessés, marqués par de dures épreuves. Et tous deux, à cause précisément de ces blessures, sont à la recherche d'un hypothétique paradis. Mais, semblables à ces enfants jouant et demandant où est le Paradis et à qui l'on répond "il n'est pas là, il est un peu plus loin", ni la grand-mère ni le petit-fils ne trouveront jamais ce qu'ils cherchent. Non seulement ils ne le trouveront pas, ce Paradis, mais leur vie, par bien des aspects, ressemble davantage à un enfer. Cela étant dit, la quête du Paradis s'opère de manière fort différente chez l'un et chez l'autre. Flora Tristan n'est habitée que par l'altruisme et son "paradis" ce serait, à force de voyages et de harangues, de révolutionner le monde en donnant aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes et en améliorant les conditions de vie des ouvriers. Mais elle est en avance sur son temps, semblable à une prophétesse, et se heurte à bien des incompréhensions, y compris chez ceux-là même qu'elle veut défendre, les femmes et les ouvriers. Quant à Paul Gauguin, sa quête de paradis apparaît bien plus égoïste: pour lui, le paradis, c'est le retour à l'état sauvage, primitif, et à un art débarrassé des conventions sociales et bourgeoises. D'où ses voyages le conduisant jusqu'à Tahiti et aux Marquises. Mais, même là, il lui faut déchanter: les "sauvages" ne sont plus si sauvages que ça et, quand il essaie d'expliquer son projet et son art à quelque Marquisien, il se heurte, lui aussi, à une bonne part d'incompréhension. La recherche d'un paradis sur terre se révèle assez illusoire. Mario Vargas Llosa relate ces deux destinées avec grand talent, alternant les chapitres consacrés à l'un et à l'autre des deux protagonistes, recourant sans cesse à des sautes de temps et usant tour à tour du "tu" et du "il". Une manière d'écrire et de raconter qui surprend quelque peu au début, mais à laquelle on finit vite par s'habituer et par apprécier.
9/10
Luc Schweitzer, ss.cc.