un livre de Emmanuel Carrère.
Il y a tout juste deux ans, je m'apprêtais à lire, dès sa parution, le nouvel ouvrage d'Emmanuel Carrère, "Le Royaume", dont le sujet, bien évidemment, m'intéressait au plus haut point, puisqu'il y était question des origines du christianisme. Je n'avais encore lu aucun livre de cet auteur et j'avais été frappé, étonné et conquis par les choix narratifs qui étaient les siens. Il ne s'agissait pas pour lui de raconter les origines du christianisme comme s'il se plaçait en dehors de son sujet, comme un érudit ou un observateur, mais plutôt de se raconter lui-même allant à la recherche des origines du christianisme. Le recours fréquent à la première personne du singulier risquait certes d'indisposer certains lecteurs, mais avait toutes les chances d'en séduire d'autres. Et j'ai fait partie de ceux-ci, j'ai été séduit. Aujourd'hui, après avoir lu "Un roman russe", je me rends compte que ce jeu du je s'apparente à une marque de fabrique chez Emmanuel Carrère. Car, dans ce livre également, l'auteur se raconte autant qu'il raconte les autres ou le sujet qui est le sien. Ici il est question de Kotelnitch, un bled perdu de Russie dans lequel a été retrouvé un Hongrois qui s'est avéré être le plus vieux prisonnier de la Seconde Guerre Mondiale. Mais ce fait divers n'est qu'un point de départ, un prétexte, car ce qu'entreprend de faire Emmanuel Carrère, c'est, en partant de cet événement, raconter Kotelnitch et ses habitants, mais aussi raconter sa famille d'origine russe et, comme dans "Le Royaume", se raconter lui-même. Ce livre, comme peut-être tous les livres de l'auteur, n'est rien d'autre qu'une confession, et une confession qui ne craint pas même d'aller jusqu'à l'impudicité. Cela pourrait être gênant, mais je trouve que c'est surtout désarmant de franchise et de sincérité et, en fin de compte, très émouvant.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.