Un roman de Maëlle Guillaud.
Ce premier roman de Maëlle Guillaud, paru en septembre 2016, vient d’être réédité en format « poche » aux éditions du Point. C’est l’occasion de le lire, car il est excellent et semble parfaitement documenté, à telle enseigne qu’on se demande, en le lisant, s’il ne comporte pas une part d’autobiographie. En tout cas, l’auteure connaît manifestement les rouages de la vie conventuelle, elle les décrit avec justesse et précision.
Au début du roman, ce sont deux jeunes filles étudiantes en khâgne, Lucie et Mathilde, avec qui le lecteur fait connaissance. Les contraintes d’horaires et de travail inhérentes aux classes préparatoires pèsent sur Lucie qui, dans le même temps, fréquente assidûment une communauté religieuse de sœurs contemplatives. Guidée par Mère Marie-Thérèse, la supérieure du couvent, ainsi que par le Père Simon, un jésuite, la jeune fille est orientée (peut-être déjà avec un soupçon de manipulation) vers un engagement au sein de cette congrégation.
Un séjour à l’intérieur même du couvent confirme l’appel que perçoit Lucie. « L’amour du Seigneur [l’]enveloppe » (p. 22) au point que, bientôt, sa décision est prise : elle veut devenir religieuse et entre sans tarder au sein de la communauté. Quelques mois plus tard, démarre son noviciat. Elle prend le nom de sœur Marie-Lucie. Juliette, une autre de ses amies, est présente à cette cérémonie et l’observe d’un œil critique et apeuré. Tout au long du récit, la romancière lui donne la parole : Juliette, c’est celle qui ne comprend pas le choix de vie de Lucie et s’en préoccupe.
Juliette a-t-elle raison d’appréhender l’option radicale faite par Lucie ? Oui et non. La suite du roman nous fait découvrir de l’intérieur la vie dans cette communauté religieuse et le moins qu’on puisse dire c’est que la réalité ne correspond que bien peu aux idéaux tels qu’on peut les concevoir au seuil de l’engagement. Triste réalité qui, malheureusement, n’est pas uniquement une réalité de roman, mais pourrait être constatée de manière effective derrière les murs de plus d’un couvent.
Comme le constate amèrement sœur Marie-Lucie à la page 111, « rien ici ne ressemble à ce qu’elle imaginait. Elle se voyait étudier la théologie, la philosophie, prier avec ferveur, aimer profondément ses sœurs. Elle se voyait au cœur d’une élite spirituelle. Dans une délicieuse union avec le Créateur. La vérité est bien en deçà. ». Dès les débuts, il a fallu déchanter : elle a senti qu’il y avait de la tension dans l’air au sein de la communauté, qu’il fallait courber l’échine devant la mère supérieure, voire accepter des humiliations.
Sœur Marie-Lucie n’est au bout ni de ses peines ni de ses surprises. En quoi consiste le noviciat sinon à la formater pour qu’elle devienne une religieuse exemplaire, silencieuse, humble et surtout obéissante ! Le vœu d’obéissance qui lui semble le plus difficile des trois qu’il faut prononcer n’en est pas moins celui sur qui tout repose : un vœu qu’on peut d’ailleurs juger insidieusement perverti au point d’être changé en vœu de soumission !
L’entrée dans la vie religieuse a pour but de fabriquer des êtres nouveaux, officiellement totalement dévoués à l’amour de Dieu, en vérité insensibles et mesquins. Lorsque sœur Marie-Lucie a la surprise de voir arriver au couvent son amie Mathilde, elle aussi désireuse d’intégrer la communauté, elle constate rapidement qu’elle n’a plus affaire à la même personne : l’amitié n’a pas de place dans un couvent. Seule la règle est de mise et elle est implacable !
Bien d’autres déboires figurent au menu de ce roman. Je ne les détaillerai pas pour en laisser la surprise aux éventuels lecteurs. Disons que dans cette communauté religieuse qui donne l’apparence d’avoir rompu avec les usages du monde extérieur règnent beaucoup de mensonges et d’hypocrisie. La vérité, c’est qu’à l’intérieur du couvent on ne fait que copier le monde, mais en miniature : toutes les bassesses, tous les jeux de pouvoir, toutes les médiocrités sont là, comme dans le monde, mais l’on fait tout pour les étouffer et pour que rien ne se sache à l’extérieur et cela avec la complicité des autorités de l’Eglise, toujours apeurés devant la perspective de quelque publicité déplaisante qui défraierait la chronique des médias.
Que devient sœur Marie-Lucie dans tout ça ? Le pire, c’est que la voilà devenue, elle aussi, manipulatrice, elle qui souffrait tant de constater ce dévoiement lorsqu’elle faisait ses premiers pas dans la congrégation. Mais les rouages de certaines institutions sont bien conçus et il est difficile de s’en échapper quand on s’y est laissé prendre. Sœur Marie-Lucie en vient à se dire qu’elle devrait partir. Mais le peut-elle vraiment ?
S’agit-il donc d’un roman à charge pointant les dévoiements possibles (et malheureusement trop fréquents) de la vie religieuse, ainsi qu’une conception pervertie du vœu d’obéissance entraînant de terrifiants abus de pouvoir et une inacceptable emprise morale sur des êtres fragilisés par ce qui ressemble à un embrigadement ? Oui, il y a de tout cela dans ce roman, mais on ne peut le limiter à ces dénonciations (par ailleurs totalement justifiées). En vérité, il s’agit plutôt d’un roman de l’ambiguïté. La romancière a su nuancer son propos. Car la vocation de sœur Marie-Lucie, même sujette à beaucoup de tourments, de déceptions et de doutes, n’en semble pas moins réelle. Le malheur, c’est qu’une vocation, au départ si belle, si noble, soit comme condamnée à être corrompue par les usages pour le moins équivoques d’une communauté obsédée par l’observance d’une règle et le maintien de traditions à la fois dérisoires et avilissantes. « Elle est devenue un pantin réglé et formaté à souhait », écrit amèrement la romancière à la page 188 au sujet de son héroïne. Triste constat, triste réalité que ce roman met opportunément au jour.
8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.