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DOLCE VITA

Un album de chansons de Francesca Solleville.

 

 

Ce ne sont pas les médias, quels qu’ils soient, qui désignent les talents. Semblable à bien d’autres interprètes de la chanson française, Francesca Solleville a beau avoir été très peu invitée sur les plateaux de radio ou de télévision au long de sa carrière, elle n’en reste pas moins l’une des grandes voix de la chanson de qualité. Après avoir appris à chanter dans les chœurs de Radio France et avoir suivi les cours d’une cantatrice, elle s’est dès l’année 1958 orientée vers ce qu’on appelle communément la chanson à texte, encouragée par rien moins que Léo Ferré en personne.

Dès lors, son chemin était tracé et elle n’a cessé, depuis lors, de proposer des albums de chansons marqués de convictions et d’engagements très forts. Sans jamais écrire les textes de ses chansons ni en composer les musiques, elle a su se constituer un répertoire cohérent en le magnifiant par sa voix reconnaissable entre toutes et la qualité sans faille de ses interprétations. Il faut dire aussi que c’est aux meilleurs auteurs de chansons et aux plus grands poètes qu’elle a confié la profondeur et la sensibilité de sa voix, en chantant, entre autres, des poèmes de Louis Aragon et de Guillaume Apollinaire, ou encore de Luc Bérimont, ou encore en reprenant des chansons de Jean Ferrat.

Aujourd’hui, le nouvel album proposé par la chanteuse s’inscrit parfaitement dans un style et une fidélité à de solides convictions tout en prenant parfaitement en compte des réalités de notre temps. Si certaines des chansons de l’album peuvent surprendre par une écriture et un ton quelque peu légers, elles n’en restent pas moins ciselées de belle manière et, si l’on est attentif, n’en gardent pas moins, même au détour d’une phrase, le pouvoir d’interpellation qui convient si bien à la chanteuse (ainsi dans « J’en veux », chanson écrite par Jean-Michel Piton, cette pertinente apostrophe : « Le p’tit gamin qui perd ses billes / Qui s’prend la flopée par une fille / Et pleure parce que c’est pas du jeu / J’en veux »).

Dans la chanson qui ouvre l’album (« La page blanche », de Jérémie Bossone), je m’amuse de la mention du prêtre à côté du voleur (« Prenez un’ page blanche / Et dessinez un être : / Un homme, un’ femme, un ange / Un voleur ou un prêtre / Et donnez-lui la main…). Je suis touché par l’évocation de « La dame Cendrillon » (chanson d’Yvan Dautin et Angelo Zurzolo), qui « dort sur du carton… » et je suis interpellé par la complainte de « La Corde » (chanson de Céline Caussimon et Gérard Pierron), etc.

Mais ce sont les chansons les plus engagées, celles qui résonnent le plus avec l’actualité, qui me touchent davantage, qui me bouleversent. Comment ne pas songer à l’odyssée récente de l’Aquarius, au drame de tous ces migrants dont personne ne veut et qui, néanmoins, risquent leur vie en traversant la Méditerranée dans l’espoir d’une vie meilleure, en écoutant certaines des chansons interprétées par Francesca Solleville ? Ainsi dans « La vague » (écrite par l’excellent chanteur suisse Michel Bühler) : « C’est une foule immense d’humains tremblants et pâles / Qui s’offrent à la mort pour tenter d’exister », écrit-il avant de déplorer notre attitude lorsque « nous baissons les yeux, cœurs et portes fermés » et d’ajouter « Que dira-t-on de nous dans cent ans, dans vingt ans ? ». Dans une autre chanson (écrite par Eric Pellerin), il est question de ceux qui doivent passer « le mur Méditerranée ». Un texte d’Aimé Césaire, mis en musique par Bernard Ascal, nous met fort à propos en garde : « Où que nous regardions l’ombre gagne », avertissement qui ne peut que toucher tous ceux qui, aujourd’hui, s’inquiètent devant la montée des populismes, les triomphes des pires réactionnaires de tout poil et tous les réflexes de repli identitaire (y compris, malheureusement, chez certains catholiques) ! Mais l’espoir reste toujours vivace, comme le rappelle une belle chanson écrite par Bernard Dimey et mise en musique par Jean-Michel Piton (« Les portes de la France ») : « Si nous voulions fermer les portes de la France / Qui donc pour les forcer ne se lèverait pas ? ». Puisse cette question, cette interpellation, nous guider face aux peurs qui gagnent aujourd’hui les esprits et qui font rechercher des sécurités illusoires du côté des vieilleries qui avaient été fort à propos remisées dans les placards et qu’on ressort en croyant être très avisé (erreur qui n’épargne pas même un certain nombre de catholiques !).  

9/10

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Musiques, #Chansons
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