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UN VIOLENT DÉSIR DE BONHEUR

Un film de Clément Schneider.

 

 

Le dispositif et les moyens utilisés pour la réalisation de ce film ont beau être minimes, il s’en dégage un charme qui ne laisse pas de marbre. Un décor unique de couvent niché au cœur d’un arrière-pays montagneux, quelques personnages et quelques costumes, et voilà tout. Cela suffit cependant pour composer une ode de toute beauté, à la fois spirituelle et sensuelle.

L’action se déroule en 1792, alors qu’arrive un détachement de révolutionnaires qui, établissant ses quartiers dans un couvent de franciscains et réquisitionnant les lieux, sème le trouble au sein de la communauté des religieux. Une sorte de cohabitation se met en place pendant quelque temps jusqu’à ce que la troupe de militaires soit appelée à servir ailleurs. Le couvent étant désormais propriété de l’État, les religieux sont sommés de quitter les lieux. L’un d’eux, cependant, Gabriel (Quentin Dolmaire), le plus jeune des moines, parvient à négocier avec les révolutionnaires : il obtient l’autorisation de rester au couvent, à condition de quitter le froc des franciscains et de revêtir l’habit militaire.

Gabriel accepte le marché. Commence alors un style de vie à la fois différent et très proche de celui qu’il pratiquait en tant que moine. Doit-il être considéré comme un renégat parce qu’il a quitté son habit de religieux ? Pas sûr du tout, semble nous dire le réalisateur. Peut-être même a-t-il enfin trouvé la source d’un vrai bonheur, plus vrai que celui qu’il connaissait en tant que religieux. Il faut ajouter qu’il n’est pas seul. Les soldats et les moines sont partis, certes, mais une femme est restée en sa compagnie : Marianne (Grace Seri), une femme noire venue d’on ne sait quelle île lointaine et qui accompagnait jusque là les militaires.

« Nigra sum sed formosa », cette phrase du Cantique des Cantiques, mal traduite par saint Jérôme qui introduit une sorte d’opposition là où il n’y a qu’une coordination. « Je suis noire et belle », faut-il lire. Or, précisément, c’est après avoir lu un passage de ce livre magnifique et sensuel de l’Ancien Testament, que Gabriel, le moine défroqué, est séduit par Marianne. Nus comme Adam et Ève, tous deux semblent avoir recouvré une sorte de grâce évoquant le bonheur d’un paradis terrestre. Ce n’est sans doute qu’une parenthèse, mais qui suffit à délier la langue de Marianne. Car, précisons-le, la belle jeune femme restait jusque là muette, au grand désarroi des soldats qui l’avaient amené avec eux. Or, quand elle se met à parler, la muette se change en poétesse et ce qui sort de ses lèvres, c’est un chant, c’est un hymne, c’est une ode à l’amour salvateur : l’amour en tous ses aspects, spirituel et charnel.

Gabriel ne vit plus en moine, mais il ne s’est pas renié dans la mesure où il persévère dans l’amour. Et si cet amour doit passer par les bras de la belle Marianne, pourquoi pas ? (J’ajouterais volontiers que si ce film peut contribuer, si peu que ce soit, à changer les regards et à malmener les idées préconçues au sujet des prêtres ou, même, des religieux et des religieuses, ce ne sera pas une mauvaise chose. Cessera-t-on enfin, un jour, de transmettre des images fallacieuses de prêtres, de religieux et de religieuses qui, du jour au lendemain, parce qu’ils ont reçu le sacrement de l’ordre ou parce qu’ils ont prononcé des vœux, ne seraient plus autorisés à vivre que comme des êtres asexués ? Certaines représentations dévotes sur la prêtrise et sur la vie religieuse ont contribué fortement, il faut le dire, à instaurer et à propager un climat d’hypocrisie dans l’Église Catholique. Et on n’a malheureusement pas fini ni d’être hypocrites ni d’en subir les conséquences.) J’en finis là avec cette parenthèse qui mériterait de longs développements.

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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