Un roman d’Olivier Py.
Écrivain, dramaturge, metteur en scène de renom, directeur du festival d’Avignon, Olivier Py ne craint pas de faire se rencontrer ou plutôt s’entrechoquer les extrêmes. Tout est paradoxe dans l’énorme roman intitulé « Les Parisiens », roman où l’on peut passer, d’un chapitre à un autre, des plus sordides orgies, des scènes de stupre les plus effrénées à l’élévation la plus grande et au mysticisme le plus raffiné. Cela n’embarrasse nullement Olivier Py qui, on le sait, se présente volontiers lui-même comme chrétien et homosexuel.
Comment recevoir un tel roman ? Je ne chercherai pas à en décrypter les clés, je ne me risquerai pas à deviner les noms des personnes illustres se dissimulant sous ceux que leur a imposés le romancier. Cela m’importe peu. Ce qui m’intéresse, c’est le récit lui-même, tel que l’auteur nous le livre, un récit bardé, encombré d’outrances, de naïvetés, de phrases sentencieuses, mais aussi de beaucoup de fulgurances et de pages vraiment inspirées. Avec Olivier Py, il ne faut pas craindre les contrastes les plus étonnants.
Je dois le confesser, j’ai failli, à quelques reprises, par agacement, voire par écoeurement, refermer le livre pour ne plus le rouvrir. Les nombreuses pages décrivant des orgies sexuelles de la manière la plus crue m’ont paru lassantes, redondantes, usantes. Qu’on ne se méprenne pas ! Je ne suis pas un tartuffe, qu’il soit question d’actes sexuels dans les romans et que les auteurs les décrivent de façon très réaliste ne me gêne nullement. Les pages de cette sorte peuvent d’ailleurs se révéler parfois très belles et je suis on ne peut plus capable de les apprécier. Mais c’est leur accumulation qui finit par épuiser, par décourager le lecteur que je suis, rien d’autre.
Heureusement, Olivier Py a autre chose à raconter que les seules bacchanales de ses personnages. Parmi ceux-ci, certains se révèlent d’ailleurs, en fin de compte, très touchants. Il y a, en certains d’eux, des abimes de désespoir qui bouleversent. Et une rencontre, parmi toutes celles que raconte l’auteur, peut être considérée comme l’apogée de tout le roman. Elle a lieu à l’église Saint-Gervais entre Lucas, un personnage à ce moment-là au bout du rouleau, et Dominique, un des prêtres du lieu. Or la conversation entre les deux hommes n’a rien de banal, elle donne lieu aux pages les plus intenses du livre. Le prêtre imaginé par l’écrivain échappe, fort heureusement, à tous les poncifs. Olivier Py s’est bien gardé de le faire ressembler à ces clercs bardés de certitudes et engoncés de préjugés qui, malheureusement, forment une partie non négligeable du clergé d'aujourd’hui et font beaucoup de tort à l’Eglise alors qu’ils croient la servir. Son prêtre à lui, son Dominique, est un homme qui vacille, qui doute, qui se persuade même qu’il ne croit plus en Dieu, qui, en tout cas, a perdu, pour de bonnes raisons, toute confiance en l’Eglise, plus exactement peut-être en ceux qui sont censés la gouverner. Eh bien, je l’affirme sans détours, je préfère ce prêtre-là, ce prêtre qui doute et qui affirme ne pas croire en Dieu à tous ceux qui, tellement sûrs de posséder la vérité et ayant l’esprit obnubilé de lois morales, n’ont plus qu'une poitrine creuse sans un cœur capable d’un amour véritable.
Rien que pour ces pages, en fin de compte, le roman d’Olivier Py valait bien la peine d’être lu jusqu’au bout.
7,5/10
Luc Schweitzer
Voici un extrait des paroles de Dominique, le prêtre de Saint-Gervais imaginé par Olivier Py : « (…) un jour, tout s’est déchiré dans mon cœur. L’ennui s’était installé au point de me rendre fou, et je me suis pris de passion pour les prisonniers, les prostituées, les misérables, et il n’y avait qu’avec eux, qu’en leur présence, que je pouvais supporter la vie. Mais je ne me sentais plus appartenir à l’Eglise. Et j’ai dû m’avouer, un soir d’avril, entre deux vomissements, que je n’avais jamais cru en Dieu. Un évêque m’a demandé de fermer les yeux sur des affaires de corruption, un nonce apostolique avait volé les pauvres. Si j’ai de l’indulgence pour toutes les fautes de la chair, voir voler les pauvres a ébranlé toutes les architectures de ma vie. J’ai voulu parler, on m’a fait taire, je me suis tu, mais j’ai perdu à jamais toute confiance dans l’Eglise. J’ai vu l’insoutenable mensonge de l’Eglise, j’ai vu la trahison de l’Evangile dans les gestes quotidiens de l’Eglise. Et je ne peux pas vous cacher que j’ai pour les hommes d’Eglise un dégoût qui dépasse toute mesure (…).
Mais il m’arrive parfois de rencontrer un homme ou une femme qui, parce que je porte cet habit, espère en moi. Je ne me crois pas capable de donner quoi que ce soit, mais je ne me sens pas capable non plus de décevoir cette attente, donc je m’efforce d’aimer. (…) Je m’efforce d’aimer, le reste m’indiffère. »
(Edition Babel, pages 556-557)