Un roman de Jake Hinkson.
On devine l’influence de la grande écrivaine Flannery O’Connor (1925-1964) chez Jake Hinkson, mais avec une dose supplémentaire de noirceur, voire de désespoir. La première était catholique, tandis que le second est le fils d’un prêcheur baptiste. Mais qu’importe ! Qu’on soit catholique ou protestant, on sait, si l’on ose s’y confronter, que l’une et l’autre Eglises ne sont pas dénuées d’hypocrisies, loin s’en faut. A ce sujet, Jake Hinkson n’y va pas de main morte et je ne doute pas que l’histoire qu’il raconte pourrait être transposée, sans y changer grand-chose, dans le milieu d’une communauté catholique à tendance conservatrice.
En l’occurrence, c’est donc d’une Eglise baptiste de l’Arkansas dont il est question et, plus particulièrement, de Richard Weatherford, son pasteur, d’apparence intègre, droit dans ses bottes, inébranlable dans sa foi. On l’a compris, la vérité est autre, les apparences sont trompeuses. Et le jour du samedi saint, c’est le pasteur lui-même qui se retrouve au pied du mur. Lui, qui ne rate pas une occasion d’affirmer ses valeurs et sa morale, lui de qui on attend ce genre de discours, par exemple celui qui consiste à vouer au diable les pratiques homosexuelles, lui, le pasteur respectable, marié et père de famille, le voilà pris au piège de ses contradictions. Car la vérité, c’est que le pasteur s’est laissé séduire par un garçon. Et l’autre vérité, c’est que le garçon en question, avec la complicité de sa petite amie, ne l’a aguiché que pour pouvoir le faire chanter en lui réclamant 30 000 dollars pour prix de son silence.
Le jour même où le pasteur se doit de préparer la fête de Pâques, le voilà confronté à ses propres contradictions. Lui qui, comme une majorité des fidèles de son Eglise, s’apprête à voter pour Trump aux élections toutes proches, ne peut se résoudre à perdre ni son autorité morale ni l’estime de ses concitoyens. C’est donc une machination implacable qui, au gré de circonstances et en prenant appui sur les faiblesses de quelques individus, se met en place afin de sauver l’honorabilité du pasteur. Mais à quel prix ?
Composé de chapitres qui, tour à tour, donnent la parole à chacun des protagonistes les plus importants de cette sombre histoire, le roman tient en haleine et met en évidence les qualités d’écrivain du romancier. Le chapitre final donne la parole à Richard Weatherford et il se déroule le jour de Pâques, un an après les faits tragiques que rapporte l’essentiel du livre. Et que dit le pasteur, sinon ce que les fidèles veulent entendre ? Lui-même n’y croit pas, mais il parle néanmoins de la mort vaincue et de la vie éternelle. « Je les apaise, dit-il à propos des fidèles, avec une contre-vérité belle et élaborée ; je leur dis que la mort n’est pas vraiment la mort. » Le cynisme de cet homme laisse pantois !
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.