Un film de Céline Sciamma.
C’est presque du domaine du cliché que d’évoquer un peintre qui tombe amoureux de son modèle (tout comme un cinéaste qui est éperdu d’amour pour son actrice). Mais que se passe-t-il quand le peintre est une femme qui fait le portrait d’une autre femme ? Dans le film de Céline Sciamma, son premier film en costumes, il n’y a quasiment que des femmes précisément. Les hommes n’apparaissent que dans de rares scènes ou sont seulement nommés. Il en est un, par exemple, qu’on ne voit jamais à l’écran, mais à cause de qui le bonheur d’un amour naissant est déjà brisé avant même que de pouvoir vraiment s’épanouir.
Le film se déroule en 1770 sur une île bretonne et raconte la rencontre de deux femmes, Héloïse (Adèle Haenel), rentrée d’un couvent pour être promise en mariage à un homme qu’elle ne connaît pas (c’est lui, l’homme qu’on ne voit jamais), et Marianne (Noémie Merlant), une artiste peintre chargée de faire le portrait de la première pour l’offrir au futur époux. Or Héloïse, qui ne veut pas de ce mariage, a déjà mis en échec un autre peintre. Sa mère (Valeria Golino) invente donc un subterfuge : Marianne devra faire office de dame de compagnie afin d’observer Héloïse et de pouvoir la peindre en secret.
Tout est en place pour le jeu des regards qui se croisent, qui examinent, qui détaillent, qui épient. Au moyen d’une mise en scène des plus inventives, Céline Sciamma suggère très habilement le lent crescendo des émotions qui s’orientent du côté de la séduction, puis du désir. Une capuche qui tombe, révélant la beauté de la nuque et de la chevelure blonde d’Héloïse, et déjà l’on pressent le commencement d’une irrépressible attirance. Des mains qui se superposent, des bouches bâillonnées qui se libèrent pour un baiser, autant d’étapes vers un amour partagé et brûlant comme le feu qui, lors d’une fête de village, a commencé de consumer le bas de la robe d’Héloïse (l’une des scènes les plus marquantes du film). Dès lors, avant même cet événement, la confession de Marianne avouant à Héloïse qu’elle est chargée de faire son portrait et non d’être sa dame de compagnie, n’y peut rien changer. Les deux femmes ont déjà franchi le pas d’un amour réciproque.
A cela s’ajoute la complicité qui unit les deux femmes à Sophie (Luâna Bajrami), la servante de la demeure à qui la réalisatrice a réservé un rôle qui n’a rien de subalterne. Sa présence, loin d’être anodine, surtout lorsque la jeune femme révèle qu’elle est enceinte et qu’elle a besoin de secours, rajoute encore de l’intensité à un film qui vibre d’un féminisme de bon aloi. Qu’on ait affaire, d’autre part, à une femme faisant profession de peintre, n’a rien d’insignifiant, bien au contraire. Même à la fin du XIXème siècle, donc bien plus tard que les faits relatés dans le film, une femme comme Berthe Morisot (que j’évoquais dernièrement sur mon blog) a dû batailler pour se faire admettre en tant que peintre à part entière !
La mise en scène de Céline Sciamma, à la fois sobre et imaginative (comme lorsque Marianne se regarde dans un miroir posé sur le sexe dénudé d’Héloïse), conduit inexorablement vers des sommets d’émotion. Héloïse et Marianne, lors d’une des scènes de la fin du film, se confient l’une à l’autre leurs regrets. Elles estiment avoir perdu du temps. Le bonheur n’a fait que passer, elles auraient dû le saisir plus tôt, il s’enfuit déjà et, bientôt, il n’en restera rien. Juste le temps de voir une dernière fois Héloïse en robe blanche, une robe qui fait penser davantage à un linceul qu’à une robe de mariée, et tout est fini ou presque, la réalisatrice ayant concocté quelques scènes supplémentaires, dont celle qui clôt le film, une scène qui déchire le cœur et que, paradoxalement, on voudrait ne jamais voir s’achever.
Car il est vrai que, tout au long du film, la séduction ne se limite pas aux personnages, elle se communique aux spectateurs, ou en tout cas à ceux d’entre eux qui sont les plus réceptifs. Il est difficile de rester de marbre en voyant Adèle Haenel qui n’a peut-être jamais été ni aussi belle ni aussi attirante que dans ce film. Quant à Noémie Merlant, dont la grâce et le talent s’affinent de film en film, elle donne à son personnage un mélange de gravité, de douceur et d’élégance qui envoûte. On peut brûler d’amour en la regardant, c’est sûr !
9/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU Bande Annonce (2019) Adèle Haenel, Drame
1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d'Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d'épouse en refusant de poser. Ma...