Un film de Marco Bellocchio.
Encore un film sur la mafia ! Que peut-on espérer d’original sur un tel sujet, déjà tant de fois abordé ? Telles furent mes pensées à l’annonce de la sortie de ce film. Mais c’était sans compter sur le talent de Marco Bellocchio, habile à sonder les institutions (famille, Eglise, armée) et les réalités politiques (le fascisme tout comme la gauche) de son pays dans son abondante filmographie. Or la mafia, qu’on le veuille ou non, fait en quelque sorte figure d’institution en Italie. Et puis, ce qu’entreprend le réalisateur, ce n’est pas tant, comme dans beaucoup d’autres films sur ce sujet, de mettre en scène les membres de la Cosa Nostra dans leurs activités et leurs règlements de compte sanglants que de les confronter à leur propre déchéance, à l’occasion de leur procès, ainsi que d’approcher le mystère de l’homme qui les a fait tomber, le traître Tommaso Buscetta (Pierfrancesco Favino).
Après une scène d’ouverture grandiose à l’occasion de la fête de sainte Rosalie de Palerme qui donne lieu à un semblant de pacte de paix entre deux familles rivales d’obédience mafieuse, c’est aussitôt le ballet barbare des assassinats qui commence. Les déclarations de paix n’étaient qu’un leurre, chacune des deux familles veut contrôler le trafic de drogue. Mais le film ne s’attarde pas sur les actes de violence (ceux qui apparaissent à l’écran sont suffisamment atroces pour qu’on comprenne à qui on a affaire). Marco Bellocchio s’intéresse surtout au personnage du traître, ainsi qu’à la mise en place et à la tenue des procès où comparaissent ceux que Buscetta a dénoncés.
La réalisation de Marco Bellocchio fait songer à un opéra tragique, ce que soulignent les plages musicales et, en particulier, l’introduction du chœur de Nabucco de Verdi lors d’une scène de procès. Un grand nombre des séquences du film semblent théâtralisées à l’extrême, y compris, précisément, les scènes de procès au cours desquelles les divers intervenants et, au premier chef, les accusés, se donnent en spectacle. Cela ne manque ni de cris ni de vitupérations ni d’imprécations, mais certains vont plus loin encore : derrière les barreaux de sûreté où ils sont confinés, un prévenu s’exhibe complètement nu, un autre comparaît avec les lèvres cousues, un troisième parade avec un gros cigare tout en citant Michel Butor…
Il y a du spectacle, le film n’en est pas avare, mais le plus intéressant, c’est en définitive le personnage du traître. Tout au long, on est amené à s’interroger à son sujet, on essaie de comprendre ses motivations. Or, même si se crée entre le juge Falcone et lui une estime réciproque, Buscetta reste quelqu’un d’énigmatique, ce qui, d’ailleurs, le rend d’autant plus fascinant. Quand il est amené à s’expliquer sur le pourquoi de sa traîtrise, il répond qu’il a agi par fidélité au code d’honneur de la Cosa Nostra. Lui est resté loyal, dit-il, tandis que tous les autres ont rompu le pacte commun dans un épouvantable bain de sang. En fin de compte, à ses yeux, la véritable traîtrise, ce sont les chefs de la mafia qui s’en sont rendus coupables en manquant à leurs idéaux.
Sans donner de réponse toute faite, fort heureusement, le film interpelle à bon escient. Qu’est-ce que trahir ? Est-on nécessairement un sale type quand on est un traître ? Pas si simple. C’est la question qui me venait déjà à l’esprit, tout récemment, à propos de Retour à Killybegs, le roman de Sorj Chalandon, roman dont le sujet s’apparente beaucoup à celui du film de Marco Bellocchio.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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LE TRAITRE un film de Marco Bellocchio, le 30 octobre au cinéma
Au début des années 80, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, ...