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RETOUR À KILLYBEGS

Un roman de Sorj Chalandon.

 

Tout en lisant ce roman, je songeais par moments au Mouchard (The Informer), un film de 1935 dans lequel John Ford mettait tout son talent de réalisateur pour décrire comment un ex-membre de l’IRA en venait à dénoncer l’un de ses frères d’armes afin de toucher une prime. Pauvre et affamé, il n’imaginait pas d’autre moyen pour améliorer sa vie ainsi que celle de sa fiancée.

Dans le roman de Sorj Chalandon, paru en 2011, l’action se déroule bien des années plus tard, tout particulièrement au cours du mandat de Premier Ministre de Margaret Thatcher (1979-1990), mais dans le même contexte de guerre civile qui a ensanglanté l’Irlande pendant une longue période. Bien qu’il ne soit nullement irlandais, il est impressionnant de découvrir avec quelle justesse l’auteur a su décrypter la complexité des affrontements entre les membres de l’IRA et l’armée britannique, sans jamais s’abaisser à la rédaction d’un simple pamphlet manichéen.

Cette question, déjà abordée par l’auteur dans un roman intitulé Mon Traître (2008), il la reprend en donnant la parole à Tyrone Meehan, celui-là même qui, après s’être engagé dans les rangs des combattants de l’IRA, finit par trahir ses frères d’armes. Comme dans le film de John Ford ? Pas tout à fait, car les motivations du personnage du roman sont différentes et beaucoup plus complexes que celles du personnage du film (ce qui n’enlève rien à la valeur de ce dernier). Sorj Chalandon, lui, s’emploie à retracer tout un itinéraire de vie, depuis l’enfance de Tyrone Meehan, lorsqu’il n’était qu’un gamin pauvre dont le père sombrait volontiers dans l’alcool.

Une fois devenu un jeune homme, c’est sans hésitation qu’il s’engage dans l’IRA afin de lutter contre l’occupation britannique en Irlande du Nord. La haine est à son comble et, dans les deux camps, on n’a pas de scrupules à user de méthodes violentes, cruelles, barbares. C’est précisément cette réalité qui rattrape Tyrone Meehan lorsque, arrêté, il doit séjourner en prison et découvre les terribles réalités des incarcérations. Et, avec l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, la tension monte d’un cran. On connaît l’intransigeance de celle-ci. Et l’on se souvient de ce qui s’est passé, si l’on était soi-même de ce monde à cette époque-là. Qui n’a pas gardé en tête l’image de Bobby Sands, enfermé dans une cellule dont les murs étaient enduits de ses excréments, en signe de protestation parce que le gouvernement britannique refusait de les considérer, lui et ses compagnons, en tant que prisonniers politiques ? Plus tard, les détenus se résolvent à faire la grève de la faim. Sorj Chalandon égrène alors la terrible litanie des noms des jeunes gens emprisonnés, morts au bout d’une soixantaine de jours sans rien ni boire ni manger. À cela, il faut ajouter tous ceux qui meurent au cours d’opérations violentes, attentats ou autres.

C’est cette réalité, si effroyable, si insupportable, qui conduit à la trahison le personnage du roman. D’une certaine façon, à ses yeux en tout cas, et même s’il sait qu’il devra un jour ou l’autre, le payer de sa propre vie, il ne trahit pas contre l’Irlande, mais pour l’Irlande, pour que cesse la litanie des morts, pour que, même fragile, la paix soit établie dans ce pays. « En trahissant mon camp, dit-il, je le protégeais. En trahissant l’IRA, je la préservais ». Ce grand roman, rédigé comme si l’auteur avait lui-même traversé toutes les épreuves de son personnage, permet non seulement de mieux comprendre la réalité du conflit entre Irlandais et Britanniques, mais il propose aussi un autre regard sur la figure du traître. Est-ce toujours méprisable que de trahir ? La question est posée.  

8,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Romans, #Cinéma de patrimoine
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