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LE COMMIS

Un roman de Bernard Malamud.

 

 

Si Bernard Malamud (1914-1986) est loin d’être le plus connu des écrivains juifs américains du XXème siècle, il n’est pas pour autant le moins talentueux, comme je l’indiquais déjà, en 2015, lorsque je rendais compte de ma lecture de L’homme de Kiev. Les éditions Rivages ayant entrepris de rééditer l’ensemble des romans de cet auteur, nous pouvons vérifier, au fur et à mesure des parutions, que nous avons bel et bien affaire à un romancier majeur.

Ce n’est certes pas la lecture du Commis qui pourra démentir cette conviction car, à nouveau, c’est d’une œuvre en tout point remarquable qu’il s’agit. Elle semble pourtant beaucoup moins ambitieuse que L’homme de Kiev, puisque toute l’action s’y déroule dans une petite épicerie de Brooklyn. On ne peut pas concevoir espace plus étriqué. C’est là que vit, ou plutôt que végète, Morris, juif pieux et homme intègre, aux côtés de sa femme Ida et de sa fille Helen. Or, non seulement son magasin ne marche pas très fort, mais il risque de péricliter encore davantage du fait de l’ouverture d’un concurrent non loin de chez lui.

Et voilà que, pour couronner le tout, l’épicerie de Morris est braquée par deux hommes masqués qui s’emparent du peu qu’ils y trouvent tout en blessant le marchand. L’un des deux agresseurs, on l’apprend rapidement, se prénomme Frank, il est goy, et ne tarde pas à être pris de remords, à tel point qu’il se présente à l’épicerie, non pour se dénoncer, mais pour rendre service à l’homme à qui il a nui. Morris accepte son aide et, de fil en aiguille, comme il perçoit que ce secours n’est pas négligeable, il finit par accepter de l’engager en tant que commis.

L’ironie de l’histoire, c’est que, grâce à Frank, la petite épicerie qui déclinait au point qu’on en envisageait la fermeture se met à attirer de plus en plus de clients. D’où, bien évidemment, des recettes en nette augmentation. Mais tout ne s’arrête pas là. La présence du commis n’est anodine pour personne. Morris est content que ses affaires reprennent, mais le doute et l’embarras s’invitent bientôt dans son esprit. D’une part, en effet, l’épicier se demande si Frank ne profite pas de sa situation et de son succès pour effectuer des petits larcins. D’autre part, il se noue entre Frank et Helen une relation de séduction qui déplaît énormément à Ida tout en importunant également Morris.

Les personnages du roman sont à la fois simples et complexes. Tous sont comme écartelés entre deux résolutions qui s’opposent. Frank a sauvé, au moins momentanément, le magasin, mais sa présence n’en provoque pas moins des dérangements chez chacun des membres de la maisonnée, y compris chez Helen qui, après avoir été séduite par le commis, en vient à reprendre ses esprits, si l’on peut dire. Quant à Frank lui-même, c’est le personnage le plus étonnant du livre. Il est animé, sans aucun doute, par un repentir sincère et il a vraiment l’intention de réparer le mal qu’il a commis le jour où, avec un complice, il a braqué l’épicier. Dans le même temps, il ne peut s’empêcher de continuer à dérober un peu d’argent dans la recette du magasin. Il est également follement épris d’Helen tout en comprenant, passé les premières illusions, que son amour est sans espoir. Et, même quand il essuie des rebuffades, il persévère dans sa volonté de réparation. Et puis, au contact de Morris, il s’interroge de plus en plus sur ce que veut dire « être juif », ce qui conduit le roman vers une conclusion étonnante et très belle.  Elle parachève un roman dont on peut affirmer, sans risque de se tromper, qu’il s’agit d’un chef d’œuvre. 

9/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Romans
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