Un film de Sarah Suco.
Les plaintes ou révélations compromettantes concernant des membres de l’Église, mais aussi, parfois, des communautés tout entières faisant partie de l’Église catholique ont été si nombreuses et si convaincantes depuis quelque temps que cette dernière a enfin entrepris non seulement d’examiner en profondeur son propre fonctionnement mais de le remettre en cause si nécessaire. Disons, pour être exact, que de timides réformes sont en cours, mais que bien du chemin reste encore à parcourir. Or cette trajectoire, dont on espère qu’elle aboutira à de grands changements structurels, est accompagnée, de temps à autre, par la sortie de films qui viennent à point nommé témoigner à leur façon des dégâts commis sur des personnes vulnérables du fait de dérives inquiétantes, provenant d’individus ou de groupes, au sein de communautés catholiques. Il y a quelques mois, nous avions grandement apprécié Grâce à Dieu, le remarquable film de François Ozon. Aujourd’hui, avec Les Éblouis, la réalisatrice du film, Sarah Suco, entreprend de raconter des éléments de sa propre histoire au temps de sa prime adolescence dans une communauté de mouvance charismatique.
De ce fait, même les quelques scènes qui pourraient paraître excessives s’intègrent parfaitement dans un récit tout à fait cohérent que la cinéaste a soigneusement évité de rendre trop tendancieux. Ce n’est pas un film à charge, mais bien plutôt une œuvre dont le but est d’inviter à la vigilance : comment faire pour que des communautés comme celle dont il est ici question soient rapidement mises dans l’incapacité de nuire ? Ce qu’on voit à l’écran est assez ahurissant, sans nul doute, mais, très certainement, véridique. Car, malheureusement, il est avéré que des communautés de cette sorte, qu’on appelait, dans les années 70 et 80, communautés nouvelles, et qu’on présentait volontiers comme des modèles de la nouvelle évangélisation, il est avéré qu’elles ont pu prospérer, bien souvent nanties de la bénédiction des plus hautes autorités de l’Église. Or de nombreux témoignages nous obligent aujourd’hui à regarder la réalité dans toute sa laideur : beaucoup de ces communautés nouvelles ont été le théâtre de dérives sectaires, leurs membres et, bien souvent, leur fondateur ou leur guide se livrant à des abus de pouvoir, si ce n’est à des abus d’ordre sexuel.
Dans le film, c’est toute une famille, à commencer par la mère (Camille Cottin), qui se laisse séduire par une communauté à tendance charismatique et son berger (Jean-Pierre Darroussin). Au début, comme toujours dans ce genre d’histoire, tout paraît irrésistiblement attirant : les membres de la communauté semblent toujours joyeux, ils partagent tout, ils aident les pauvres, etc. Un petit monde idéal, en somme, pour une mère de famille quelque peu fragile, comme celle dont il est question dans le film. Elle n’a pas trop de peine à y entraîner son mari (Éric Caravaca), un brave homme qui se laisse persuader que cette vie nouvelle sera bénéfique pour les siens et pour lui. Quant aux quatre enfants, ils n’ont pas le choix, il faut bien qu’ils suivent leurs parents. Mais c’est une fois qu’ils sont admis dans la communauté que commencent les insinuations et les contraintes, le plus souvent, d’ailleurs, en sauvegardant une apparence de bienveillance. Camille (formidable Céleste Brunnquell), l’aînée des enfants, une adolescente de treize ans, est invitée à ne plus participer à l’école de cirque où elle était pourtant si fière d’exercer ses talents. Mais cette activité (qui implique le corps, bien évidemment) déplaît au berger qui y décèle quelque chose de malsain, voire de diabolique. Car la grande affaire, quand on fait partie de la communauté, c’est de débusquer le diable. Pour ce faire, il faut changer de vie. Cela va même jusqu’à porter une tenue réglementaire (que Camille, quand elle va au collège, remplace par un jean qu’elle a caché dans une armoire électrique désaffectée).
S’il ne s’agissait que de petites brimades de cette sorte, ce serait peut-être supportable. Mais c’est un véritable système, fermé sur lui-même, qui se met en place insidieusement et qui oblige à se couper d’autrui, y compris de sa propre famille. Le berger est obligé de tolérer que les enfants soient scolarisés, mais c’est pour mieux exercer son emprise lorsque ceux-ci sont de retour. L’ascendant est tel que c’en est parfois effarant et comique en même temps : ainsi quand les membres de la communauté se mettent à bêler comme des brebis pour appeler leur berger. Mais le pire advient lorsque ce dernier estime qu’il faut chasser le diable à coup d’exorcismes en « priant sur » la personne soupçonnée de s’adonner au mal. On ne prie pas pour quelqu’un, chez ces gens-là, mais sur quelqu’un, ce qui indique à quel point s’exerce un système de domination. Quant aux prières d’exorcisme, sur lesquelles la réalisatrice se garde judicieusement de s’attarder, elles suffisent à indiquer combien ces procédés sont illusoires. Avec de telles méthodes, on peut faire « remonter » du passé ce qu’on veut et, en particulier, des affabulations. Pourtant le mal radical, celui qui s’en prend aux enfants, est présent, au sein de la communauté, et il n’est pas nécessaire de le chercher dans le passé en se livrant à de sinistres et fallacieuses prières d’exorcisme. C’est Camille qui le débusque avec horreur et qui, ne pouvant réussir à convaincre sa mère, décide courageusement de protéger ses frères et sa sœur en les éloignant du péril.
En vérité, comme elle l’explique dans une interview donnée au Parisien, Sarah Suco, la réalisatrice, a passé dix années de sa vie, de 8 à 18 ans, dans une communauté de cette sorte, jusqu’à ce qu’elle décide de s’enfuir de ce lieu. Quant à son film, elle a attendu bien des années pour le réaliser, préférant sagement laisser d’abord sa colère s’apaiser. Elle explique aussi que ce qu’elle a choisi d’y montrer ne représente que 5% de la réalité de ce qu’elle a vécu. Elle n’a pas voulu faire un film d’horreur mais témoigner posément et mettre ainsi en vigilance, car des communautés comme celle qui apparaît dans le film, il en existe malheureusement encore. Quoi qu’il en soit, le film est une grande réussite et on ne peut le voir sans être remué aux entrailles.
8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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