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D’UN LIVRE D’ERRI DE LUCA ET DU CÉLIBAT DES PRÊTRES

Billet d’humeur no 3.

 

 

Erri de Luca, né à Naples en 1950, est un écrivain singulier que je ne me lasse pas de découvrir. Ses ouvrages, toujours très courts, ne sont jamais anodins. Ils sont écrits dans une langue belle et poétique que la traduction française, me semble-t-il, garde aussi intacte qu’il est possible. Qu’il soit question, dans ses livres, de son enfance ou d’autres périodes de sa vie, qu’il soit question des auteurs qu’il fréquente, qu’il soit question de ses rencontres humaines, Erri De Luca écrit sur ces sujets avec ce qu’il faut de passion pour éveiller la curiosité.

Il est à remarquer les nombreuses références bibliques qui émaillent ses textes (et qui font parfois bien plus que les émailler). Lui qui fut militant d’extrême gauche durant sa jeunesse n’en entretient pas moins tant avec le judaïsme qu’avec le christianisme des rapports étroits, originaux et paradoxaux. Tout en affirmant qu’il n’a pas la foi, il lit la Bible tous les jours en hébreu et, dans ses ouvrages, médite sur la Bible ou sur les hommes de foi avec une étonnante gourmandise. Son incroyance l’autorise d’ailleurs à parler de ces sujets avec une liberté de ton des plus réjouissantes. Comme j’aimerais que nous, les croyants, les chrétiens, les catholiques, nous puissions disserter de ces sujets avec autant de hardiesse ! Nous serions peut-être, de ce fait, beaucoup moins hypocrites !

Dans Acide, Arc-en-ciel, livre dont le titre s’explique par les premiers mots (en italien, bien sûr) d’un dictionnaire que l’auteur évoque avec un brin de nostalgie, tout un chapitre est consacré à l’itinéraire d’un prêtre, de sa vocation jusqu’à sa « retraite », après qu’il ait servi en tant que missionnaire dans un pays d’Afrique de l’Est. Il y aurait beaucoup à dire sur ces pages où Erri De Luca s’efface presque entièrement pour ne transcrire que les libres propos de ce prêtre. Libres, ils le sont, et de la plus belle des manières. Il faudrait pouvoir en citer de larges passages. Mais j’ai choisi de n’en retenir qu’un, parce qu’il me paraît exemplaire et qu’il contribue, à sa façon, aux débats toujours réactualisés sur la question du célibat des prêtres. Quand on est missionnaire en Afrique de l’Est, on découvre d’autres réalités et d’autres pratiques que celles de l’Europe. J’aime l’aisance avec laquelle le prêtre à qui Erri De Luca rend hommage traite de cet aspect de son ministère. Il en parle en relatant son passage dans un village où une femme veut lui faire un cadeau. Ce qui provoque une mise en garde d’un vieil homme. Voici comment le prêtre s’exprime (pages 94 et 95 de l’édition Folio) :

« J’étais plein de vigueur en ce temps-là et dans ces régions le vœu de chasteté relève plus du conseil que de l’ordre. On était indulgent pour un homme seul au milieu d’un peuple qui ne comprenait pas cette exigence. Il arrivait même qu’un missionnaire fût mieux accepté par la population s’il consentait à prendre une femme avec lui ; il levait ainsi un obstacle à son œuvre de mission. Le vieil homme m’expliqua tout ça et m’avertit des conséquences qu’il y avait à accepter des cadeaux personnels. Il me dit de choisir en connaissance de cause, de ne me sentir lié ni par mon vœu ni par lui. J’avais détourné mes pensées des femmes. Une autre forme de vie que celle choisie me traversa l’esprit. Je la repoussai, respectant mon vœu. De ce moment, je n’acceptai que les dons indispensables pour nous et notre église. La chasteté que tu connais peut-être n’a pas été pour moi une privation, mais le préambule d’une liberté. Ma vocation à servir m’entraînait bien au-delà des désirs, des intérêts personnels. Se dépouiller de soi, telle a été ma conception de la liberté. Il ne s’agit que de mon expérience. J’ai connu dans ce pays des hommes pieux dont le service s’est renforcé grâce à leur liaison avec une femme de leur terre de mission. Ils ne scandalisaient personne, au contraire, on les aimait bien. Chacun apaise son corps comme il peut, on ne peut mentir à sa propre chair. Nous avons accepté une loi si riche d’interdictions qu’il n’est pas possible de les respecter toutes. C’est un catalogue détaillé de la perfection, donc impossible à réaliser. »

L’un respecte son engagement au célibat ou à la chasteté, l’autre ne le peut pas. Pourtant, ce dernier ne faillit pas à sa mission. Sa foi n’est pas moins grande ni son ardeur d’apôtre et il évangélise peut-être autant et aussi bien que l’autre qui veille à ne pas enfreindre son vœu de célibat. Comme j’aimerais que la même indulgence soit de mise partout où se trouve l’Eglise, partout où des prêtres exercent un ministère ! Si cela était, c’est l’hypocrisie qui reculerait, et non pas la foi. Et l’on cesserait peut-être enfin de considérer les prêtres comme s’ils étaient différents du reste des hommes. Ils ne le sont pas, grâce à Dieu, je l’écris en connaissance de cause !

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Billet d'humeur, #Citations, #Livres
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