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JOURNAL DE GALÈRE

Un livre de Imre Kertész.

 

 

Ce n’est pas une lecture facile que celle du Journal de galère de Imre Kertész (1929-2016). L’écrivain hongrois y a rassemblé des réflexions écrites au fil du temps qui passe, durant les années où il rédigeait quelques-uns des ouvrages qui lui ont valu un peu de célébrité. Parmi ceux-ci figure, en premier lieu, Être sans destin, livre dans lequel l’auteur rend compte, de manière originale, distanciée, de son internement dans le sinistre camp d’Auschwitz-Birkenau. Il est souvent question de cela, bien sûr, dans le Journal de galère, mais aussi des écrivains et philosophes avec qui Kertész entretient une sorte de dialogue par-delà l’espace et le temps : Nietzsche, Freud, Camus, Adorno, Pascal, Musil, Beckett, Kafka, sans oublier des écrivains hongrois comme Sándor Márai ou Gyula Krúdy. Quelles qu’elles soient, les réflexions de Kertész n’ont jamais rien de banal, chacune d’entre elles demanderait, pour en saisir le sens et l’argumentation, des connaissances ou des recherches de connaissances qui, assez souvent, je dois le dire, m’ont fait défaut. Cela étant, je n’en ai pas moins glané, ici et là, des textes à ma portée, qui ont stimulé mes propres méditations sur le monde, l’homme, la nature, Dieu, etc.

Pour donner un aperçu de la profondeur des textes de Kertész, je me contenterai d’en citer un seul (à la page 237 de l’édition Babel) :

« Ce qui m’est apparu dans mon enfance presque comme une illumination (je m’en souviens encore nettement) est peut-être vrai : la mission terrestre de l’homme est de détruire la Terre, la vie. Mais alors il a peut-être agi comme Sisyphe : pour un instant, il a échappé à sa mission, à son devoir, il a échappé aux griffes de la mort et s’est mis à contempler ce qu’il était censé détruire : la vie. Ainsi, d’un point de vue supérieur – si tant est qu’il y en ait un – on peut dire qu’il n’est pas né en vain, dans la mesure où sa réticence lui a fait mener une vie exemplaire, ne serait-ce qu’un certain temps. Vues sous cet angle, toute forme ou toute pensée supérieure qu’il a créées doivent leur existence à cette réticence ; l’art, la philosophie, les religions sont les produits d’un arrêt soudain de l’homme, de son hésitation à accomplir son véritable devoir, à savoir la destruction ; cette hésitation explique la tristesse incurable et nostalgique des vrais grands hommes. »

Ce texte, écrit en 1990, ne comporte-t-il pas quelque chose de prophétique ? Qu’écrirait Kertész aujourd’hui, alors que nous nous apprêtons à basculer en 2020, en considérant l’état du monde ? La destruction de celui-ci, l’anéantissement de la vie sur Terre ne sont plus seulement une hypothèse ni une simple éventualité. L’art, la philosophie et les religions peuvent-ils encore quelque chose pour empêcher ou ralentir une annihilation du monde qui semble désormais presque inéluctable. Il faut néanmoins continuer de croire en la capacité de l’homme à échapper au pire.

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Journal, #Citations
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