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LE DERNIER MOUSSE

Un roman de Francisco Coloane.

 

 

Francisco Coloane reste bien moins connu chez nous que les écrivains auxquels il est souvent comparé : Herman Melville, Joseph Conrad ou Jack London. Comme ces derniers, c’est dans sa propre existence, pleine de voyages et d’aventures, qu’il a puisé de quoi écrire des nouvelles et des romans. Chez lui, au Chili, il est considéré, à juste titre, comme un génie de la littérature au point que son œuvre sert de référence. Elle est abondamment commentée, lue avec gourmandise, étudiée dans les écoles.

Né le 19 juillet 1910 à Quemchi, un petit port de pêche de l’île de Chiloé au Chili, mort à Santiago le 5 août 2002, Francisco Coloane n’avait que 9 ans lorsqu’il perdit son père, qui travaillait comme capitaine baleinier. Bientôt, sa mère l’emmène à l’extrême sud du pays, à Punta Arenas. Ce premier voyage sera suivi de beaucoup d’autres puisque, sa mère étant décédée, le jeune Francisco se voit contraint d’abandonner ses études à l’âge de 17 ans, alors qu’il avait déjà écrit et fait publier une nouvelle, afin de trouver un travail. En vérité, c’est une suite d’emplois divers qu’il s’apprête à exercer, devenant, tour à tour, éleveur de moutons, dresseur de chevaux, ouvrier agricole et baleinier, comme le fut son père. Au cours de ses déplacements, il multiplie les expériences et les rencontres. Il a l’occasion de côtoyer des aventuriers de toutes sortes, marins, chasseurs de phoques, chercheurs d’or, contrebandiers, etc., mais aussi d’approcher les tribus autochtones dont il sera, dès lors, un ardent défenseur. Plus tard, au début des années 30, tandis qu’il travaille comme journaliste à Santiago, il se marie, mais pour devenir veuf trois ans plus tard, alors qu’il est père d’un garçon. Il continue néanmoins d’exercer divers métiers et se lie avec d’autres écrivains, dont Pablo Neruda. C’est la parution, en 1941, du Dernier Mousse, roman couronné d’un prix littéraire, qui le fait accéder à la notoriété. Ce livre sera suivi de plusieurs autres récits d’aventures, tout aussi captivants.

Si l’on veut découvrir l’œuvre de ce romancier, on ne peut choisir de meilleure porte d’entrée, semble-t-il, que Le Dernier Mousse. La lecture de ce court roman (il fait un peu plus d’une centaine de pages) impressionne. L’art de Francisco Coloane, c’est, précisément, de raconter une histoire riche en événements avec une grande économie de moyens, sans s’encombrer ni des digressions ni des développements ou des explications interminables que tant d’écrivains se croient tenus de rédiger. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer Le Dernier Mousse à Moby Dick, le fameux roman d’Herman Melville.  Francisco Coloane, lui aussi, parle de baleines, mais il n’éprouve pas le besoin de saturer le lecteur avec des considérations sur les différentes espèces de cétacés ou les différentes méthodes de chasse. Chez le romancier chilien, tout est dit ou suggéré au moyen de quelques phrases et cela suffit. Le lecteur comprend parfaitement de quoi il est question. Et il en est de même tout au long du récit. Lorsqu’il est question de deux tribus d’Indiens de l’extrême sud du Chili, par exemple, Coloane n’a besoin que de quelques phrases pour faire comprendre qui sont ces gens, d’où ils viennent, ce qu’ils ont subi et combien leurs conditions de vie sont compliquées.

Tout cela est évoqué sur fond d’une grande aventure, celle d’Alejandro, un garçon de quinze ans qui s’est embarqué sur la corvette Général Baquedano, un navire comportant 300 hommes d’équipage et qui doit effectuer son dernier voyage jusqu’aux confins du cap Horn. À son retour, il sera désarmé et mis au rebut. Alejandro, qui rêve d’être accepté comme mousse, a pour but premier de retrouver son frère aîné, parti avant lui pour ces contrées lointaines du sud chilien et n’ayant plus jamais donné de ses nouvelles. Rapidement repéré au fin fond d’une soute où il a dû lutter contre d’énormes rats, le garçon ne tarde pas à être adopté par l’équipage. Commence alors sa formation de mousse et ses aventures, la découverte des baleines, mais aussi des dangereux icebergs, les tempêtes, l’escale à Punta Arenas, puis le voisinage des Indiens. Contrairement à Joseph Conrad qui, dans ses récits, privilégiait les destinées d’hommes solitaires, Coloane raconte la solidarité. Elle est si grande, si importante, sur un navire de guerre, que, lorsque, au cours d’une tempête, un des mousses est emporté par une vague et disparaît dans les flots en furie, tout le monde en est durement affecté.

Cette vie de marin, le grand écrivain chilien la raconte avec sobriété et efficacité. Son récit, publié en 1941, garde aujourd’hui toute sa puissance, toute son évidence, toute sa beauté. Les chiliens ont mille fois raison d’en avoir fait un de leurs livres de chevet.  

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Romans
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