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LA BONNE ÉPOUSE

Un film de Martin Provost.

 

Tandis que je lisais dernièrement le livre de mémoires de la romancière irlandaise Nuala O’Faolain (1940-2008), livre paru en France sous le titre interrogatif On s’est déjà vu quelque part ?, je redécouvrais avec effarement les conditions de vie ainsi que l’éducation reçue par les jeunes Irlandaises de la génération de cette écrivaine. « Dans un pays catholique conservateur qui avait peur de la sexualité et qui m’interdisait même d’avoir des informations sur mon corps, écrivait-elle, je pouvais m’attendre – en tant que fille, en tant que femme – à rencontrer des difficultés dans l’existence. Mais au moins – c’est ce qu’on disait alors – je n’aurais pas la lourde tâche de gagner ma vie. Un homme finirait bien par m’épouser et par me garder. » En France, dans les milieux bourgeois ou même simplement dans les familles qui se voulaient respectables, ce n’était guère différent, d’ailleurs, de ce qui se passait en Irlande. Pour s’en convaincre, il suffit, par exemple, de relire les premières pages des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, elle-même issue d’une famille on ne peut plus traditionnelle, dont elle s’est empressée de rejeter toutes les valeurs lorsqu’elle a pu gagner son autonomie.

Martin Provost, cinéaste qui s’attache, de film en film, à proposer des portraits de femmes (Séraphine en 2008, Violette en 2013, Sage Femme en 2017), nous rappelle ici qu’il existait même, dans des temps pas si éloignés de nous, des pensionnats dédiés exclusivement à l’éducation des jeunes demoiselles, en vue d’en faire de parfaites épouses, d’excellentes ménagères et des mères de famille exemplaires. Nous voilà donc transportés en Alsace, dans l’école ménagère Van der Beck, en 1968, peu avant les évènements du mois de mai. Le film étant clairement conçu à la manière d’une comédie, on a de quoi sourire en découvrant le quatuor chargé de l’éducation des pensionnaires : Paulette Van der Beck (Juliette Binoche), son mari Robert (François Berléand), sa belle-sœur Gilberte (Yolande Moreau) et, enfin, l’inénarrable sœur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky) qui s’effraie de la présence d’une rousse parmi les élèves, les jeunes filles dotée de ce type de chevelure ayant la réputation, selon elle, d’être plus délurées que les autres !

En vérité, ce sont toutes les élèves qui sont plus ou moins en effervescence. L’esprit de révolte de mai 68 commence, de manière anticipée, à perturber le bel ordonnancement qui règne au sein de l’école. Paulette Van der Beck elle-même, qu’un évènement inopiné, aussi drôle que tragique, rend veuve, en vient à découvrir une toute autre façon d’être femme que celle qu’elle est chargée d’enseigner. Ruinée, car son défunt mari avait accumulé des dettes, elle a la chance de retrouver André Grunwald (Edouard Baer), son amour de jeunesse. A son contact, mais aussi et surtout parce qu’elle n’est pas insensible au vent de liberté qui souffle en cette année 1968, elle se transforme en quelqu’un d’autre. Gilberte, elle aussi, en est chamboulée. Quant à la sœur Marie-Thérèse, il n’est pas impossible que même elle, aussi rigide soit-elle, finisse par être tourneboulée.

Martin Provost met en scène ces péripéties avec un entrain, une bonne humeur, mais aussi avec une perspicacité qui séduisent irrésistiblement. Et puis, mine de rien, il en nous dit beaucoup sur l’émancipation des femmes, sur ce qui a, fort heureusement, changé, mais aussi sur toutes les inégalités qui demeurent encore (et, en écrivant cela, je pense, entre autres, aux effarantes disparités qui demeurent dans l’Eglise catholique). Le cinéaste rappelle, fort à propos, les changements survenus au cours de 1968, lorsque les jeunes filles, qu’on s’efforçait encore d’éduquer selon des règles qu’on croyait immuables, découvraient des réalités nouvelles, des possibilités jusque là insoupçonnées. Ainsi de l’une des élèves de l’école Van der Beck qui s’éprend d’un garçon qu’elle va rejoindre une nuit ou de deux autres jeunes filles qui se découvrent lesbiennes. Ou encore de celles qui, lorsqu’elles le peuvent, écoutent une émission de la radio d’alors, émission où une animatrice s’adresse aux femmes sans s’encombrer d’aucun tabou d’aucune sorte. Et voilà des jeunes filles à qui l’on inculquait qu’elles devraient, dès qu’elles seraient mariées, accepter passivement le devoir conjugal, autrement dit les assauts d’un mari, seul habilité à tirer du plaisir des rapports sexuels, voilà donc ces jeunes filles invitées à explorer les ressources de leur propre corps, autrement dit leur propre capacité à la jouissance, elles qui possèdent un fabuleux organe appelé clitoris, qui n’est dédié précisément à rien d’autre qu’au seul plaisir ! N’est-ce pas merveilleux ?

Qu’il est bienvenu, le vent qui souffle en 1968, ce vent qui incite les femmes à se libérer ! Il est opportun, si opportun, que, chez Martin Provost, il se met à chanter. L’espoir fait chanter et danser et transforme le film, in extremis, en comédie musicale !

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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