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CAPTAIN BLOOD

Un roman de Rafael Sabatini.

 

On doit à Rafael Sabatini (1875-1950), écrivain italo-britannique, quelques fleurons de romans d’aventures historiques qui n’ont rien perdu de leur pouvoir de séduction. Quand on est amateur de « grande littérature », si tant est que l’on puisse définir précisément cette expression-là, on sera peut-être enclin à traiter par le mépris ce qu’on considérera comme de la sous-littérature, tout juste bonne à distraire le grand public. Pour ce qui me concerne, je me défie de ces distinctions et suis peu prédisposé au dédain. On a vite fait de se rendre compte, d’ailleurs, si on prend la peine (ou plutôt le plaisir) de les lire, que nombre d’auteurs ayant écrit des romans destinés, sans nul doute, au divertissement des lecteurs, n’en ont pas moins fait preuve d’un grand savoir-faire et de beaucoup plus de subtilités que ce que nos préjugés leur accordent. Rafael Sabatini est de ces auteurs-là, lui à qui l’on doit au moins trois grands romans d’aventures qui furent aussi de grands succès : Captain Blood, Scaramouche et L’Aigle des Mers.

Dans Captain Blood, tout comme dans les deux autres romans que je viens de nommer, les péripéties se succèdent presque sans arrêt. Néanmoins, on n’a jamais le sentiment que le récit est bâclé, au contraire. Les personnages, bien que pris dans des tourbillons d’aventures incessantes, ne sont nullement brossés à grands traits. Le romancier s’attache à faire comprendre leurs motivations et il réussit à les dépeindre avec une surprenante finesse. Plusieurs d’entre eux, en tout cas, échappent aux facilités qu’on imagine être fatalement de mise dans ce genre de romans. C’est vrai, en particulier, pour ce qui concerne le personnage éponyme. Les premières pages du roman nous décrivent Peter Blood comme un homme désireux d’en finir, une fois pour toutes, avec les aléas d’une vie aventureuse. Retiré en tant que médecin dans une bourgade d’Angleterre, il n’aspire qu’à exercer ce métier-là et rien de plus. Or, bien sûr, des événements ne tardent pas à le propulser dans une existence qui n’a plus rien d’une sinécure. Ayant donné des soins à un fuyard blessé, il est compté au nombre des rebelles s’étant soulevés contre la sujétion du roi Jacques. Condamné au bagne, il est envoyé aux Caraïbes où il est vendu comme esclave. Ce qui lui permet de rencontrer à la fois son plus grand ennemi et son plus grand amour : le premier est celui qui l’achète, le colonel Bishop, la deuxième est la nièce de celui-ci, Miss Arabella Bishop.

Bien évidemment, Blood ne reste pas esclave. Avec des compagnons d’infortune, il réussit non seulement à s’échapper mais même à s’emparer d’un navire espagnol. Commence alors la grande série d’aventures maritimes qui mène Blood jusqu’à l’île de la Tortue où il se résout à se joindre aux flibustiers. Mais tout n’est pas si simple. Blood va devoir composer avec de multiples interlocuteurs, espagnols, hollandais, français, allant d’une île à une autre, d’un combat à un autre, de Bridgetown à Maracaibo et à Carthagène et en d’autres lieux encore. Son itinéraire périlleux et complexe lui donnera l’occasion, bien sûr, d’affronter encore et encore Bishop, mais aussi d’autres ennemis, et de croiser à plusieurs reprises le chemin de la belle Miss Arabella dont il est amoureux, une Miss Arabella qui se pose beaucoup de questions à son sujet, se demandant (pendant un temps) s’il n’est rien de plus, en fin de compte, qu’un pirate et un voleur.

C’est sur ce sujet, celui de l’identité de Blood, mais aussi d’autres personnages, sur les apparences qui peuvent être trompeuses, que le romancier abonde en subtilités. Oui, on a affaire à un roman d’aventures, et des plus captivants, mais cet aspect n’écrase pas ce que le récit peut contenir du point de vue de l’intelligence, de la réflexion. Blood est un homme complexe qui ne cesse de dérouter ses compagnons, ses interlocuteurs, ses ennemis et son amoureuse. Un événement, parmi bien d’autres, montre parfaitement le peu de pertinence des étiquettes trop vite associées aux personnages. Cela apparaît, de manière évidente, lorsque, Blood s’étant mis, pour un temps, au service du roi de France, se tient un débat au sujet d’une expédition à mener contre les Espagnols : Blood suggère d’envahir la totalité de l’île d’Hispaniola, tandis que les Français préfèrent attaquer Carthagène afin de s’emparer de ses trésors et de la livrer au pillage. Autrement dit, en cette circonstance, c’est Blood qui se comporte en d’homme d’honneur et en chef de guerre responsable et ce sont les Français qui adoptent les manières de faire des flibustiers ! « … il est étrange, dit Blood, que le général des armées du roi de France propose une expédition de flibuste, tandis que le chef des flibustiers songe à l’intérêt et à l’honneur de la France. » Voilà qui prouve, si nécessaire, qu’un roman d’aventures tel que celui-ci ne manque nullement de sagacité.

Pour finir, je ne peux manquer de rappeler (ou peut-être d’apprendre à certains) que les trois grands romans de Sabatini que j’ai nommés au début de cet article furent tous trois adaptés au cinéma et donnèrent lieu à trois chefs d’œuvre de films d’aventures. Deux d’entre eux furent confiés à Michael Curtiz : Captain Blood en 1935 et L’Aigle des Mers en 1940. Quant à Scaramouche, il fut réalisé en 1952 par George Sidney. On est parfois enclin à estimer que les films subvertissent toujours plus ou moins les romans, les scénaristes n’hésitant pas à chambouler le texte et à y tailler à loisir. En vérité, ce n’est pas toujours le cas. Le film de Michael Curtiz reste on ne peut plus fidèle au roman de Sabatini. Il bénéficie, en outre, d’un impressionnant savoir-faire et d’un casting idéal. Pour tous ceux et toutes celles qui ont vu le film, le capitaine Blood aura toujours le visage et le charisme sans faille d’Errol Flynn, tandis que Miss Arabella conservera les traits ainsi que la grâce d’Olivia de Havilland ! 

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Films de patrimoine, #Romans
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