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C’EST LE CŒUR QUI LÂCHE EN DERNIER

Un roman de Margaret Atwood.

 

Le succès, tout à fait mérité, de La Servante écarlate, vertigineuse dystopie adaptée en série télévisée, a attiré l’attention de nombreux lecteurs, curieux d’aller à la découverte des autres œuvres de la romancière canadienne Margaret Atwood. Celle-ci semble d’ailleurs s’être fait une spécialité des romans de genre dystopique, mais sans parvenir à égaler, à chaque fois, l’excellence de sa fiction la plus célèbre. Des romans comme Le Temps du Déluge ou MaddAddam, romans certes très ambitieux, décrivent des mondes tellement différents du nôtre, au moyen de tout un vocabulaire dont on se demande parfois ce qu’il signifie, que cela en devient presque abscons. L’auteure semble quasiment dépassée par l’ampleur de ce qu’elle cherche à décrire.

Ce défaut est également présent, dans une moindre mesure cependant, dans C’est le cœur qui lâche en dernier. On y découvre les étranges et stupéfiantes destinées de deux personnages, Stan et Charmaine, qui, du fait d’une crise économique ravageant les États-Unis, en sont réduits à vivre dans leur voiture, essayant de se protéger comme ils peuvent de la violence d’une société qui semble n’avoir plus d’autre loi que celle du plus fort. Leur histoire, néanmoins, bascule dans l’inattendu lorsqu’ils découvrent une publicité vantant les bienfaits d’une ville protégée qui porte le nom de Consilience. Stan et Charmaine n’hésitent pas. « Au lieu de croupir dans un condominium désert peu à peu envahi par de la moisissure noire, écrit Margaret Atwood, ou de s’entasser dans une caravane en passant ses nuits à repousser des ados aux regards vides et froids, armés de tessons de bouteilles et prêts à vous faire la peau pour une poignée de mégots, on bénéficie d’un emploi rémunéré, de trois solides repas par jour, d’une pelouse à tondre, d’une haie à tailler, de l’assurance qu’on contribue au bien-être général et d’une chasse d’eau en état de marche. En un mot, ou plutôt en six : UNE VIE DIGNE DE CE NOM. »

Bien évidemment, comme on peut l’imaginer, cette présentation, destinée à attirer les candidats, ne correspond qu’à une petite partie de la réalité de la ville de Consilience. Car, pour y résider, il faut accepter de séjourner, un mois sur deux, dans une prison nommée Positron. Autrement dit, les habitants de Consilience se séparent en deux blocs : pendant que les uns profitent des avantages qu’offre la ville, les autres sont en prison, et ainsi de suite, de mois en mois, en alternance. Concrètement, cela signifie que les deux moitiés de résidents ne doivent jamais se rencontrer l’une l’autre.

Telle est la règle. Telle est l’étrange dystopie concoctée par Margaret Atwood, qui prend plaisir à en dévoiler aussitôt les failles. Car, très rapidement, Stan découvre un message qui semble avoir été laissé dans la maison par une « alternante ». A partir de là, tout est envisageable et l’on pourrait imaginer toutes sortes de développements. Margaret Atwood, quant à elle, choisit de se focaliser, peut-on dire, sur deux sujets : d’une part, la supposée élimination des certains des individus de la ville, considérés comme improductifs ou nuisibles ; d’autre part, les appétits sexuels de certains résidents et les solutions imaginées pour y répondre. Sur le premier de ces sujets, le roman propose des pages intéressantes et des surprises, Charmaine se trouvant elle-même confrontée à des dilemmes moraux qui ne peuvent laisser de marbre. Mais, sur le deuxième de ces sujets, la romancière ne réussit qu’à s’empêtrer dans des histoires de jouets sexuels ressemblant comme deux gouttes d’eau soit à Marilyn Monroe soit à Elvis Prestley. C’est cocasse jusqu’à un certain point, cela devient vite assommant.

En fin de compte, c’est dans les pages ultimes du roman qu’apparaît clairement le vrai sujet du roman. Qu’est-ce qui est préférable ? La liberté ou la sécurité ? Et quand on est programmé pour aimer, s’agit-il encore d’amour au plein sens du mot ? L’amour vrai ne peut se passer de la liberté d’aimer. Dommage que la romancière n’ait réussi qu’à effleurer ces questions-là ! 

6/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer

Tag(s) : #Livres, #Dystopie, #Romans
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