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ROSEANNA

Un roman de Maj Sjöwall et Per Wahlöö.

 

Le roman policier nordique s’impose aujourd’hui incontestablement comme un sous-genre à part entière. Depuis quelques dizaines d’années, c’est une véritable floraison d’auteurs qui est apparue sur les étals des libraires. Henning Mankell, Arnaldur Indridasson, Stieg Larsson, Jo Nesbø, Arni Thorarinsson sont probablement les plus illustres d’entre eux. Mais sait-on que c’est un couple d’écrivains suédois qui, entre 1965 et 1975, a été l’initiateur de ce qui, par la suite, a connu et connaît toujours un engouement assez impressionnant ? Maj Sjöwall, qui vient de décéder le 29 avril dernier, et son mari Per Wahlöö (décédé dès 1975) écrivirent une dizaine de romans considérés aujourd’hui, à bon droit, comme des classiques.

Le premier d’entre eux porte pour titre le nom d’une jeune femme, Roseanna, dont on apprend, dès la première page, que le corps a été retrouvé, par hasard, du fait d’une opération de dragage, au fond des eaux d’un canal. Le corps est en bon état de conservation, il n’a pas séjourné longtemps dans l’eau et l’on suppose que la rapidité de cette découverte facilitera l’enquête. La suite du roman montre qu’il n’en est rien. Les enquêteurs chargés de cette affaire vont devoir s’armer de patience et mener un grand nombre d’investigations pour le moins fastidieuses.

Car c’est une des particularités des polars nordiques, à commencer par ceux de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, que de ne pas épargner aux lecteurs les lenteurs et les temps morts inhérents à une enquête criminelle de quelque importance. La jeune femme dont le corps a été retrouvé au fond du canal a été violée et assassinée, c’est sûr, mais par qui et dans quelles circonstances ? Et quand il apparaît que, très probablement, cela s’est passé sur un bateau effectuant la traversée d’un lac, les policiers comprennent qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines, car, sur le bateau en question, il y avait beaucoup de monde.

Cela étant, les deux auteurs du livre se sont gardés d’écrire un polar ordinaire, leur ambition ne se limitait pas à tenir le lecteur en haleine jusqu’à la résolution d’une énigme. Qui est l’assassin ? Certes, cette question est bien présente tout au long des pages, mais l’originalité du roman ne repose pas là-dessus. Maj Sjöwall et Per Wahlöö se soucient, bien davantage, de donner chair à leurs personnages et de faire ressentir ce que c’est que de mener une investigation de cette sorte. Ils savent également, par la mention de nombreux détails, situer parfaitement leur récit dans l’espace et dans le temps.

Comme le fait remarquer Henning Mankell dans sa préface à Roseanna, en 1965, les gens ne se baladaient pas avec un téléphone portable ni ne disposaient d’ordinateurs. C’est vrai. Pourtant, si, malgré son âge, le roman ne semble pas avoir beaucoup vieilli, s’il n’est pas besoin de faire un gros effort pour être captivé par sa lecture, c’est parce que ses qualités d’écriture restent résolument modernes. Elles ne sont aucunement dépassées. Les personnages y sont décrits avec un tel souci d’authenticité, une telle moisson de détails, qu’on a vite fait d’avoir le sentiment de les connaître. Ce qui ne signifie pas, d’ailleurs,  même si les auteurs ne craignent pas de nous fournir une abondance de renseignements, que nous ayons le sentiment d’être submergés, en tant que lecteurs. Non, au contraire, il reste encore de la place pour faire fonctionner notre sensibilité et notre imagination.

Martin Beck et les autres policiers intervenant au cours du récit ont vite fait de devenir des personnages attachants, auxquels on peut sans trop de peine s’identifier.  On n’a pas affaire à des individus hors du commun. Martin Beck n’est pas quelqu’un d’infaillible, il se sent souvent mal, que ce soit parce qu’il est enrhumé, parce qu’il ne dort pas suffisamment, ou parce qu’il manque du temps qu’il devrait consacrer à sa famille. L’enquête piétine puis, du fait d’un détail, connaît un rebond et avance comme ça, cahin-caha. Elle fait intervenir divers protagonistes, y compris en Amérique, dans le Nebraska. En fin de compte, sa résolution n’est pas accompagnée de gloriole. « Que ce soit à Motala, écrivent Maj Sjöwall et Per Wahlöö, à Stockholm, ou à Lincoln, dans le Nebraska, ils avaient tous travaillé depuis leurs bureaux et élucidé l’énigme en employant des moyens que l’on ne pourrait jamais rendre publics. Ils avaient résolu le problème. Ils s’en souviendraient toujours, mais rarement avec fierté. »

Dans sa préface, Henning Mankell rappelle que Maj Sjöwall et Per Wahlöö affirmaient volontiers avoir été influencés par les auteurs américains de romans noirs, en particulier Ed McBain. Mais, pour lui, pour Henning Mankell, on peut aussi bien se référer à Edgar Allan Poe et même remonter jusqu’aux drames de la Grèce antique en passant par Shakespeare. Je le crois volontiers, moi aussi. Les grands écrivains de polars s’inscrivent dans une tradition vieille comme le monde, chacun s’efforçant d’y apporter sa petite part d’originalité. Maj Sjöwall et Per Wahlöö comptent parmi ceux qui ont le mieux réussi à tenir cette gageure. 

8,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Livres, #Romans, #Polar
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