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EFFACER L’HISTORIQUE

Un film de Benoît Delépine et Gustave Kevern.

 

Quand les « grolandais » Benoît Delépine et Gustave Kevern s’emparent d’un sujet pour en faire un film, on peut être sûr qu’on n’aura pas affaire à de la demi-mesure. Avec eux, la farce n’est jamais assez énorme, la dénonciation jamais assez incisive. Ce faisant, les deux compères prennent le risque du manque de finesse, ce qui, précisément, est le défaut principal de leur nouveau film.

Celui-ci n’est cependant pas dépourvu de pertinence en mettant en scène trois personnages, trois voisins qui s’ignoraient jusqu’à ce qu’ils fassent cause commune sur un même rond-point en tant que gilets jaunes. Leur lutte s’étant (pour un temps) essoufflée, ils n’en ont pas moins conservé une amitié et une solidarité qui font plaisir à voir. Et ils en ont sacrément besoin, d’être solidaires, puisque tous trois se trouvent confrontés à des embrouilles liées au monde du numérique, du virtuel, des moyens modernes de communication.

Là voilà, la dénonciation qui fait le sujet de ce film : contester un monde devenant de plus en plus absurde au fur et à mesure de sa dépendance grandissante, envahissante, au numérique. Pour ce faire, les réalisateurs déclinent à l’envi quelques-unes des inepties inhérentes à un monde tellement soumis au tout-numérique que son ciel même est envahi comme jamais par les « trucs satellisés » que Serge Reggiani évoquait déjà il y a bien des années (Dessin dans le ciel).

Trois personnages, donc, deux femmes et un homme, tous trois à la fois désarmés et combatifs face à ceux qui, depuis leurs impressionnantes places fortes de Californie, régissent nos vies hyperconnectées : Marie (Blanche Gardin) victime d’un chantage à la sextape, Bertrand (Denis Podalydès) séduit par la voix sirupeuse d’une démarcheuse téléphonique et Christine (Corinne Masiero) malade de n’avoir pas suffisamment d’étoiles sur internet en tant que chauffeuse VTC tout en étant devenue totalement sous emprise des séries télévisées.

Pour décrire ces vies bouleversées par l’asservissement au numérique, les réalisateurs multiplient les gags, tout en laissant de la place aux émotions (et certaines scènes, plutôt que de faire rire, s’avèrent véritablement poignantes, comme celle où Marie rend visite à son fils, dont son ex-mari a la garde). Les situations grotesques et absurdes abondent néanmoins. Elles font assez souvent mouche. Quand un livreur éreinté (joué par Benoît Poelvoorde) accepte de faire une pause-café avant de fondre en larmes parce qu’à cause d’un imprévu, son employeur risque d’être mis au courant, c’est à la fois drôle, sidérant et pathétique.

Cela étant, à force d’enfiler les gags (dont certains sont, quand même, assez lourdauds), le film patine quelque peu, par moments, il a du mal à garder son rythme. De plus, même si l’on ne peut qu’approuver la dénonciation orchestrée par les deux réalisateurs, son univocité et son parti-pris rendent le propos peu ou prou abusif. S’il est vrai que l’emprise du numérique peut conduire à de nombreuses dépendances et à beaucoup de situations absurdes, faut-il néanmoins rejeter en bloc les « progrès » apportés par les technologies nouvelles ? Pas si sûr et il aurait été équitable au moins d’en suggérer les bons côtés.

Reste que, quand le film, au bout du compte, invite à retrouver quelque chose de la simplicité de l’enfance (en tout cas, de l’enfance d’avant le numérique qui se contentait de moyens dérisoires pour inventer de la communication), comment ne pas s’en réjouir ? En somme, il suffirait de se dire « je t’aime », tout simplement. Allez ! Laissons nos portables de côté, tournons-nous les uns vers les autres et partageons simplement nos « je t’aime » (tout en respectant les distanciations nécessaires en ce temps de pandémie, bien sûr !!!). 

7,5/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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