Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

EVA EN AOÛT

Un film de Jonás Trueba.

 

Avec son beau visage nimbé d’une auréole, qui ressemble à celui qu’aurait immortalisé un peintre, Eva (Itsaso Arana) fait figure de sainte sur l’affiche française du film. C’est sans doute quelque peu trompeur, mais pas tant que ça, dans la mesure où l’on admet une définition large de la sainteté. Quoi qu’il en soit, quiconque se familiarisera avec le personnage qui est au cœur de ce film ne pourra, je le suppose, rester hermétique à son aura. L’apparence rohmérienne du film (le cinquième de Jonás Trueba, mais le premier à être diffusé en France) convient à merveille aux déambulations de cette jeune femme de presque 33 ans choisissant de rester dans la capitale espagnole, plutôt que d’imiter la majeure partie des Madrilènes désertant la ville au mois d’août. Les quinze premiers jours de ce mois s’égrènent au long du film, découpés comme aurait pu le faire le cinéaste de Conte d’été (1996) et de tant d’autres chefs d’œuvre.

Jonás Trueba s’inspire donc clairement du style d’Eric Rohmer, de manière à la fois assumée et libre. De toute façon, il nous propose le portrait d’un personnage si attachant que, très vite, on cesse de songer à quelque référence que ce soit. Le mot « portrait » ne convient d’ailleurs peut-être pas, le réalisateur ayant la sagesse de garder à son personnage sa part de mystère. Le film ne nous dit pas grand-chose, en effet, au sujet de son « héroïne », sinon son âge et son passé de comédienne. Ce qui compte, c’est plutôt de saisir l’instant présent, les déambulations d’Eva dans la touffeur madrilène et les quelques rencontres qu’elle fait.

Ainsi, dès le début, quelque chose de plus important qu’un CV nous est suggéré lorsque l’ami qui lui prête son appartement se met à parler des comédies américaines des années 30 et, en particulier, des comédiennes qui s’y distinguaient, comme Barbara Stanwyck ou Katharine Hepburn, autrement dit des actrices qui prenaient leurs distances d’avec les schémas classiques et stéréotypés des personnages féminins du cinéma hollywoodien. Plus tard, une actrice comme Olivia de Havilland, qui vient de mourir à l’âge de 104 ans, se permit aussi des audaces, à sa manière.

Eva, manifestement, est une femme du même acabit, ce qui n’empêche nullement l’expression d’une sensibilité empreinte de délicatesse. Celle-ci se manifeste à bien des reprises, en particulier lors de chacune des rencontres que fait la jeune femme. Y compris même lorsque pas une parole n’est échangée, comme avec une jeune fille asiatique que croise Eva. Sans se parler, mais uniquement au moyen d’un rapide échange de regards, une communication s’établit, fugace mais réelle.

Au fil des jours se précisent quelques aspects de la personnalité d’Eva. Rêveuse et contemplative lorsqu’elle observe les étoiles filantes de la nuit de la San Lorenzo ou, simplement, lorsqu’elle regarde un rayon de lumière courant sur un mur, la jeune femme se montre tout aussi apte à profiter des fêtes qui ponctuent cette première quinzaine du mois d’août. Elle semble curieuse de tout, ouverte aux événements, voire aux imprévus, aux rencontres non programmées. La plupart d’entre elles donnent lieu à des dialogues, parfois légers, parfois profonds. Eva n’est pas du genre à passer à côté d’une anomalie en faisant semblant de ne pas la voir. Et quand elle aperçoit un homme qui s’est infiltré dans un endroit interdit au public, non seulement elle ne passe pas son chemin, mais elle le rejoint en se glissant sous une palissade de verre, comme si elle passait de l’autre côté d’un miroir, se risquant ainsi à quelque chose d’indéterminé.  

Précisons-le, le titre français gomme l’une des facettes énigmatiques du personnage d’Eva, car le titre espagnol nous parle de La Vierge d’août. Certes, le film s’achève le 15 août, fête mariale de l’Assomption, et l’on voit à l’écran des processions de Madrilènes, mais il s’agit aussi d’Eva elle-même et du mystère de son propre corps. Eva apparaît d’ailleurs comme une jeune femme en questionnement. Lors d’un de ses échanges verbaux, elle explique un projet qu’elle n’a encore pu mettre à exécution : proposer une visite guidée des églises de la ville avec un guide qui, après avoir disserté sur les beautés architecturales de chacun des édifices, poursuivrait avec un questionnement sur la foi (« les gens ne vont plus à l’église », ajoute Eva). Lors d’une autre scène, elle semble être interpellée par les paroles d’une chanson proférée par le chanteur d’un groupe, dans la rue : « Qui régit l’univers ? », demande-t-il.

En fin de compte, pendant les deux heures et quelques que dure le film, et comme le réalisateur nous a laissé un espace, à nous spectateurs, nous nous sommes délectés de la compagnie d’Eva, car elle fait partie de ces personnes dont on peut dire qu’elles font du bien. Sans le savoir, bien évidemment, parce qu’elles sont comme ça, des êtres beaux. Après avoir vu le film, j’avais d’ailleurs en tête la superbe chanson qu’écrivit Gilles Servat sur ce sujet :  « Il est des êtres beaux comme un matin du monde / Des êtres déchirants comme un amour enfui / Ils passent lumineux sur nos vies moribondes / Comme un jour qui se lève éteint la vieille nuit… ». 

8,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :