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STATION ELEVEN

Un roman de Emily St John Mandel.

 

 

Comment s’y prendre pour trouver un peu de consolation ou simplement adoucir l’épreuve que nous subissons du fait de la pandémie de COVID-19 ? Peut-être, pourquoi pas, en nous plongeant dans une histoire encore plus cataclysmique et qui, par comparaison, nous fera trouver bien minimes les tracas qui sont les nôtres aujourd’hui. Dans le registre qu’on appelle généralement post apocalyptique, les romans ne manquent pas, au point que certains se contentent de répéter ad nauseam une recette à succès.

Heureusement, il est aussi des auteurs qui, tout en restant fidèles à ce genre, trouvent des moyens d’échapper aux conventions ou, en tout cas, de proposer quelque chose de suffisamment original pour sortir du lot commun. C’est le cas, sans nul doute, de la romancière canadienne Emily St John Mandel qui, en 2014, avec Station Eleven, proposait, pour la première fois dans sa carrière, un roman d’anticipation.

Dans ce récit, c’est précisément une pandémie qui est la cause d’un désastre planétaire, une pandémie, par conséquent, bien plus terrifiante encore que celle nous connaissons actuellement, puisque seule une toute petite partie des humains a pu échapper à la mort. En un rien de temps, une maladie foudroyante appelée grippe de Géorgie a décimé l’humanité et, du coup, provoqué l’arrêt total de toutes les technologies, faisant basculer les quelques survivants dans un monde nouveau, un monde à se réapproprier.

Cette base, en soi, ne se démarque pas des archétypes du genre post apocalyptique, mais si Emily St John Mandel parvient à éviter l’académisme, c’est, entre autres, parce qu’elle jongle habilement avec la temporalité. Plusieurs niveaux de temporalité se chevauchent, faisant naviguer, en quelque sorte, le récit du monde d’après le désastre causé par la grippe de Géorgie (20 ans après) à celui d’avant le cataclysme en passant par la catastrophe elle-même. La romancière réussit même à intégrer dans son roman un récit dans le récit, l’un des personnages ayant créé une BD (qui donne d’ailleurs son titre, Station Eleven, à l’ouvrage).

Ces allers et retours temporels ne sont nullement une gêne pour le lecteur. Au contraire, ils enrichissent le récit et donnent l’opportunité à la romancière d’aborder des sujets qui nous interpellent. Elle le fait en s’attachant à une galerie de personnages, certains ayant connu le monde d’avant la catastrophe, d’autres non. Ceux qui sont au cœur de l’ouvrage se sont rassemblés pour former une troupe de théâtre et de musiciens itinérante. Ils vont d’un lieu à un autre, tout en évitant de sortir des limites d’un territoire qu’ils connaissent, jouent des pièces de Shakespeare et interprètent des œuvres musicales. Il leur faut constamment rester sur leurs gardes, car les dangers sont nombreux, ne serait-ce que parce que des rescapés se sont constitués en sectes fanatisées.  

La romancière mène avec brio son roman, maîtrisant parfaitement l’art de tenir en haleine le lecteur. Et puis, et ce n’est pas la moindre qualité du livre, elle nous invite à apprécier encore davantage le monde qui est le nôtre aujourd’hui. Car un des points forts du livre, c’est le souvenir du monde passé, donc de celui dans lequel nous vivons, nous les lecteurs. Pour ceux qui, dans Station Eleven, survivent 20 ans après le cataclysme qui a ravagé la Terre, tout ce qui a disparu semble prodigieux : pour eux, il n’y a plus d’électricité, plus d’avions dans le ciel, plus de ramassage d’ordures, plus d’internet…, précise l’écrivaine. Tout ce dont nous nous servons aujourd’hui avec tant de facilité et sans y songer tient, pour eux, du miracle ! Ce n’est pas banal, me semble-t-il, un roman post apocalyptique qui nous invite à nous émerveiller du monde qui est le nôtre !  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Romans, #Dystopie
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