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CE QU’IL FAUT DE NUIT

Un roman de Laurent Petitmangin.

 

 

Si, parmi tous les romans qui ont été exposés sur les étals des libraires au mois de septembre, il en est un à côté duquel je ne pouvais passer, c’est celui de Laurent Petitmangin qui, à 55 ans, publie là son premier livre (déjà couronné, d’ailleurs, de deux prix). À cela deux raisons. D’abord son titre en qui j’ai reconnu une citation de Jules Supervielle (1884-1960), en l’occurrence le premier vers d’un superbe poème (Vivre encore), mis en musique et chanté, d’ailleurs, par ce talentueux chanteur méconnu qu’était Jean Vasca (1940-2016). Ensuite, la teneur du roman, son contenu, son action, qui se déroule pas bien loin de ma région d’origine, autrement dit dans le nord de la Lorraine, à une quinzaine de kilomètres du Luxembourg.

On ne peut s’y tromper quand on a vécu soi-même dans ce coin-là. Dès les premières pages du roman de Laurent Petitmangin, on a le sentiment d’y être, on reconnaît l’accent, les tournures de phrases, les expressions propres à cette région frontalière où se mélangent allègrement un français plus ou moins arrangé et quelques mots d’allemand et où l’on met systématiquement un article devant tous les prénoms (sauf, éventuellement, quand on a affaire à quelqu’un qui n’est pas du pays).

C’est l’histoire d’une famille que raconte Laurent Petitmangin, en la plaçant dans la bouche du père, un homme qui travaille à la SNCF mais qui se passionne d’abord pour le football. Il a deux fils, Gillou et Fus, ou plutôt le Gillou et le Fus, ce dernier étant surnommé ainsi précisément à cause du football (Fußball en allemand). Quant à sa femme, il ne l’appelle pas autrement que la moman, une femme qui, malade d’un cancer, ne quitte pas le lit et, à 44 ans, en fait 20 ou 30 de plus. Le père tient le coup comme il le peut, mais, bientôt, la moman doit être hospitalisée et, après avoir subi 3 ans de maladie, elle meurt.

Elle n’en reste pas moins présente, d’une certaine façon, car, souvent, face à des événements imprévus, le père pense à elle et à ce qu’elle aurait fait ou à ce qu’elle aurait dit en certaines circonstances. Voilà, en effet, le père devant élever seul ses deux garçons et, bientôt, déboussolé, incapable de réagir à bon escient, comme s’il était paralysé. Alors que le Gillou réussit, de son côté, à se faire admettre dans une école à Paris, le Fus, lui, délaisse de plus en plus ses anciens copains pour leur préférer une bande de militants du FN.

Pour le père, c’est pire qu’un séisme. Lui, qui est toujours resté fidèle au PS, voir l’un de ses fils traîner avec des fachos ! On a beau lui dire que, malgré tout, le Fus reste un bon gars, un gars qui n’est pas à une contradiction près (il continue d’écouter les chansons de Jean Ferrat tout en relayant les propos de ses nouveaux potes), le père a honte et, plutôt que d’affronter son fils, se réfugie dans le silence.

Il n’est pas au bout de ses peines, le malheureux ! Car, quand on fait partie d’une bande aussi typée que celle des militants du FN, il peut survenir des rencontres qui dégénèrent en pugilats. Et quand le Fus est tabassé au point d’être hospitalisé, c’est le début d’un engrenage qui conduit à la prison en passant par un assassinat, un premier jugement, puis un jugement en appel. Tous ces événements, terribles, le père, s’il se contente, dans un premier temps, de les subir, parce qu’il est trop sonné pour réagir, dans un deuxième temps, les affronte ou se confronte avec eux, à sa manière. Son regard change, et sur son entourage, et sur son fils incarcéré. Quand il rend visite au père de Krystyna, la petite amie du Fus, lui-même militant facho, ce qu’il voit, d’abord, c’est un pauvre type. En fin de compte, se dit le père, tout est affaire de petits riens qu’on ne maîtrise pas. Un petit rien, pas grand-chose, et une vie bascule et le « bon gars » devient taulard.

Ce roman, court, sans chichis, qui prend parfaitement en compte des réalités de ce coin de Meurthe-et-Moselle proche du Luxembourg, de cette région sinistrée, traditionnellement bien ancrée à gauche, mais avec, dorénavant, une forte emprise du FN, ce roman, d’un bout à l’autre, sonne juste, si l’on peut dire. Et, malgré sa brièveté, il induit plus d’une réflexion, plus d’une interrogation. Comment se fait-il que des « bons gars » comme le Fus soient si facilement séduits par la propagande du FN ? Gardons-nous de donner une réponse simpliste.  

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Livres, #Romans
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