Un roman de Qiu Xiaolong.
Paru en 2000 et traduit en français dès 2001, Mort d’une Héroïne Rouge est le premier d’une série de onze romans policiers ayant pour personnage dominant l’inspecteur principal Chen Cao de la brigade de police de Shangaï. Une ville et un pays, la Chine, que l’auteur connaît bien puisque, né en 1953, il y a vécu jusqu’à son départ pour l’université Washington de Saint-Louis dans le Missouri en 1988 et sa décision de ne pas regagner son pays d’origine à la suite des manifestations de la place Tian’anmen de 1989.
C’est donc depuis les États-Unis que le romancier a entrepris, par le biais de récits policiers, de décortiquer, autant qu’il est possible, la complexité de la Chine contemporaine. Comme il l’expliquait, dans une interview au Parisien en 2001, on peut résumer les choses ainsi : « Autrefois, le peuple chinois croyait en Confucius. Puis il a cru en Mao. Aujourd’hui, le seul idéal qu’il lui reste, c’est l’argent, et ça pose quelques problèmes. » C’est cette réalité-là que l’écrivain observe et critique de manière avisée par le truchement de ses personnages de roman et, en particulier, l’inspecteur Chen.
Membre du Parti (par obligation plus que par conviction), ce dernier, de ce fait, bénéficie de quelques privilèges, ce qui peut entraîner, on le devine, des jalousies ou des frustrations chez certains de ses collaborateurs. Dans le même temps, on comprend rapidement que tout est verrouillé et que les moindres fait et gestes des policiers peuvent être observés et produire des effets ou positifs ou négatifs. Pas facile de mener une enquête dans ces conditions, surtout quand on a affaire au meurtre d’une jeune femme sacrée « Travailleuse Modèle de la Nation ».
Bientôt, les investigations de Chen mettent à jour des réalités cachées bien moins reluisantes que celles qu’on se plaît à exposer au grand jour. Derrière les apparences, derrières les expressions ronflantes, derrière les idéaux, se dissimulent, plus ou moins bien, pas mal de turpitudes. Qui était vraiment Hongying, la femme assassinée, qui étaient ceux qui gravitaient autour d’elle et qui est celui qui s’est rendu coupable du crime ? Pour résoudre ces mystères, Chen n’est pas au bout de ses peines. Bien des embûches surviennent, la première d’entre elles se présentant sous forme d’un dilemme dont la teneur est résumée à la page 475 : « En tant qu’inspecteur principal, il était censé servir la justice en punissant tout meurtrier. En tant que membre du Parti, il savait ce qu’il devait faire. C’était la première leçon du Programme d’éducation du Parti. Un membre du Parti doit servir avant tout les intérêts du Parti. » Mais quand la justice et les intérêts du Parti se télescopent, que faire ?
Pour terminer, il faut souligner l’originalité très grande du personnage de Chen, tel que Qiu Xiaolong l’a imaginé. Car il en a fait un féru de littérature (il traduit en chinois des œuvres d’écrivains étrangers) et, en particulier, de poésie. Comme Sherlock Holmes est un mélomane et un violoniste accompli, l’inspecteur Chen voue une véritable passion pour la poésie, au point de susciter la critique de ses collègues qui le considèrent comme « trop poète pour être flic ». Et, de fait, les poèmes imprègnent tout le roman. Les citations y abondent, même parfois en pleine investigation, alors qu’on s’y attend le moins : « S’extasier sur un poème de la dynastie des Tang en pleine enquête sur un meurtre, c’était du Chen tout craché. » En fait, on comprend que, dans l’idéal, ce dernier aurait aimé pouvoir ne se consacrer à rien d’autre qu’à la poésie et que, s’il fait le métier de flic, ce n’est pas par passion mais pour pouvoir gagner sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’être un enquêteur obstiné, bien décidé à aller jusqu’au bout d’une affaire. Mais un flic poète, tout de même, ça ne manque pas de singularité !
7,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.