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PIECES OF A WOMAN

Un film de Kornél Mundruczó.

 

 

 

White God en 2014 tout comme La Lune de Jupiter en 2017, les deux films hongrois en forme d’allégories politiques, tournés dans son pays d’origine, de Kornél Mundruczó, ne m’avaient guère enthousiasmé. Il n’en est pas de même en ce qui concerne son premier film « américain » qui vient d’être programmé sur Netflix. Le réalisateur y aborde un sujet plus intime, mais ayant des résonances universelles, celui d’un couple et, plus largement, d’une cellule familiale, confronté(e) à l’épreuve de la perte d’un bébé. Ce sujet convient parfaitement au cinéaste, d’autant plus qu’il a été écrit par sa compagne, Kata Wéber, alors que tous deux, si j’en crois ce que j’ai lu dans un article, avait connu le même malheur. Quoi qu’il en soit, tout au long du film, en tant que spectateur, on ressent fortement l’impression de « vécu » qui émane de chacune des scènes.

Cela commence d’ailleurs avec une scène-choc d’une durée d’une bonne vingtaine de minutes, tournée en plan séquence, ce qui représente un véritable tour de force (qui, bien sûr, marque les esprits tout au long de la suite du film). Après une brève scène introductive où l’on voit Sean (Shia LaBeouf) sur son lieu de travail, nous entrons donc dans le vif du sujet. Sean retrouve, à la maison, sa compagne Martha (Vanessa Kirby, dont on a pu admirer le talent dans la série The Crown), qui est enceinte et a fait le choix d’accoucher chez elle, avec l’aide d’une sage-femme, sans péridurale. Sean, aussi, veut être présent. Tout semble parfaitement planifié, le bonheur semble déjà acquis. Mais c’est l’impensable qui se produit. La scène d’accouchement, longue et impressionnante, ne se contente pas d’être un exercice de style. Elle nous donne le sentiment d’être nous-mêmes partie prenante de l’événement. Que ferions-nous ? La sage-femme repère une petite anomalie dans le rythme cardiaque de l’enfant, mais pas de quoi, semble-t-il, s’inquiéter outre mesure. Nous participons nous-mêmes, presque organiquement, à ce miracle qu’est la naissance d’un bébé. Mais ce qui n’est pas imaginable se produit : une fois né, après quelques instants de vie, le bébé devient bleu et, malgré la tentative de sauvetage exercée par la sage-femme, décède.

La suite du film, d’apparence plus classique mais non moins intense, tout en égrenant les semaines et les mois qui passent, scrute les conséquences de ce drame, non seulement en ce qui concerne le couple lui-même, mais également tout l’entourage. On remarque, tout spécialement, chacune des interventions de la mère de Martha (jouée par Ellen Burstyn), mère maladroite, intrusive, presque abusive, mais elle-même marquée à vie par ce qu’elle expérimenta, à l’âge de l’enfance, quand elle dut se cacher dans un ghetto, ne réussissant à survivre qu’au moyen d’un incroyable sursaut de volonté. Sa combativité, elle a le sentiment de n’avoir pas su la transmettre à sa fille. Leur dialogue ressemble, de ce fait, à un dialogue de sourds, chacune des deux femmes étant enfermée dans sa propre douleur.

Après l’impressionnante scène d’accouchement, c’est sans jamais forcer le trait que Kornél Mundruczó fait percevoir toutes les incidences du deuil éprouvé par les parents. Dans son milieu de travail, Martha doit supporter des regards de commisération et, dans le couple qu’elle forme avec Sean, plus rien ne peut être comme avant. Surtout, et c’est là, me semble-t-il, la pointe du film, chacun des deux protagonistes recherche, peut-être inconsciemment, à s’exonérer de tout sentiment de culpabilité. Que se serait-il passé si Martha avait accouché à l’hôpital ? L’enfant aurait-il été sauvé ? Quand il fait la rencontre d’un médecin, Sean s’emporte parce que ce dernier se montre incapable de déterminer avec précision les causes de la mort du bébé. Et quand se met en place une procédure judiciaire à l’encontre de la sage-femme, Martha est poussée par sa mère à aller jusqu’au bout de la démarche afin de gagner ce procès et, ainsi, de déterminer une culpabilité. Or, ne faudrait-il pas, précisément, admettre, accepter le manque d’explications sur ce qui s’est passé ainsi que l’absence d’un ou d’une coupable désigné(e) ? Quand des malheurs surviennent, notre instinct nous incite à vouloir comprendre ou à trouver ceux (celles) qu’on peut accuser. Ce beau film méditatif de Mundruczó a pour lui, entre autres, le mérite de montrer que ni les explications ni les culpabilités ne sont nécessairement ni accessibles ni démontrables. Et sans doute, en fin de compte, est-ce mieux ainsi. 

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame
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