Un roman de Nuala O’Faolain.
Balzac avait écrit La Femme de Trente Ans (1842). Ce roman de l’écrivaine irlandaise Nuala O’Faolain (1940-2008) pourrait être intitulé, quant à lui, « La Femme de Cinquante Ans ». Ce fut d’ailleurs le cinquième et dernier roman qu’elle écrivit, avant d’être emportée par un cancer foudroyant. Ce livre sonne en effet comme une sorte de testament. Par le biais du roman, on devine que l’écrivaine s’y confie, que son personnage, Rosie, peut, sans nul doute, être perçue comme son alter ego. Cette impression est d’autant plus grande que Nuala O’Faolain se fait un devoir (ou un plaisir) d’écrire en s’encombrant le moins possible de détours. Il y a, chez elle, un ton de franchise qui, si l’on se laisse séduire, fait de chaque lecteur une sorte de confident.
Bien sûr, puisqu’il s’agit d’un roman, ces épanchements épousent la trame d’un récit où se mêlent avec finesse les contraires, la joie et la mélancolie, l’humour et le chagrin, l’altruisme et la solitude, la quiétude et la peine. Ces sentiments mêlés, la narratrice, Rosie, les éprouve en retrouvant, à Dublin, sa vieille tante Min, celle qui l’a élevée quand elle était enfant, sa mère étant morte en couches. Or c’est d’une femme diminuée dont Rosie doit essayer de s’occuper, sa tante ayant plus ou moins sombré dans la neurasthénie tout en tentant de se consoler en abusant de l’alcool.
Rosie, cependant, de son côté, veut entreprendre la rédaction d’un livre destiné aux plus de cinquante ans, une sorte de guide pour aider à vieillir le mieux possible. Pour ce faire, elle décide de quitter, pour un temps, l’Irlande, afin de planifier son travail avec son ami éditeur américain Markey. Min, de son côté, à qui Rosie a proposé de séjourner, pendant son absence, dans une maison pour personnes âgées, ne l’entend pas de cette oreille. Et la voilà, bientôt, qui débarque à son tour à New-York, au grand effarement de Rosie. Mais c’est une Min déterminée qui, profitant de cette opportunité, et même si elle se retrouve rapidement en situation irrégulière, veut changer de vie, rester en Amérique, y subvenir à ses propres besoins. N’est-ce pas la meilleure manière de lutter contre le vieillissement que d’oser démarrer une nouvelle vie ?
C’est donc Min qui reste aux États-Unis tandis que Rosie revient en Irlande, prenant ses quartiers à Stoneytown, dans la maison d’enfance de Min, lieu paradisiaque situé en bordure de mer. La suite du roman consiste en entretiens de Rosie avec Min par téléphones interposés, d’échanges de courriels avec Markey, de rencontres tout autant que de solitude, de réflexions sur la fuite du temps, la cinquantaine, le manque, etc. Rosie redécouvre la beauté de la campagne irlandaise, s’attache aux animaux, en adopte, réussit à mettre en forme ses méditations sur la vieillesse en les résumant en « Dix pensées sur la maturité ». Mais elle qui avait voué sa vie à son travail, voyageant beaucoup d’un endroit à un autre et se contentant d’amours passagères, que lui reste-t-il à présent ? Comment peut-elle combler les manques qui se font, à présent, cruellement sentir ? Tout en conservant, autant que faire se peut, son humour, ce qui permet d’éviter l’excès de pathos, c’est le chagrin qui reste au cœur de ce beau et touchant roman. C’est ce qu’elle écrit, lors d’une de ses confidences : « J’appelais mon état solitude, mais il ressemblait plus à du chagrin ».
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
Quelques citations :
Sur les prêtres (pages 48-49), dans un dialogue avec une certaine Peg :
« Je ne sais pas comment tu peux t’agenouiller, Peg – t’agenouiller – devant un type qui se fait appeler prêtre et qui appartient à une communauté exclusivement masculine dont la vocation – la vocation – est de brimer et de terroriser les femmes. Ces gens-là étaient les talibans de leur époque, et ils le sont encore partout où on les laisse faire. Dire à de pauvres Africaines mères de vingt marmots atteints du SIDA de remercier Dieu parce qu’elles n’ont pas commis le péché de la contraception ! Rester assis sur leurs gros culs à Rome, comme s’il était parfaitement naturel de passer sa vie à inventer des trucs à faire dire à Dieu ! Pas étonnant que j’ai quitté l’Irlande. Tout le monde devrait quitter l’Irlande. Les femmes en particulier, elles devraient claquer la porte au nez des soudards et des prêtres… »
Sur les plaisirs de l’amour auxquels il faudrait dire adieu (page 300) :
« C’était donc fini ? Fini à jamais ? Pourquoi était-ce fini pour moi ? Pourquoi ? Comment se pouvait-il que ce soit fini – l’excitation qui montait lentement, les coups de langue et les chuchotements, la bouche avide sur la peau, le choc des épaules et des hanches, la silhouette sombre auréolée de lumière qui se cambrait au-dessus de moi ? Comment le supporter, si cela devait ne plus jamais arriver ? Et peut-être que ça n’arriverait plus. Peut-être qu’il n’y aurait plus personne. Peut-être que ça y était. Juste un aperçu. Une chaleur subite et aussitôt retirée. Ne plus jamais m’ébattre sur un drap froissé, sans honte, en distribuant des baisers de joie et de gratitude – et tout ça à cause de mon âge ! »
Page 408 :
« J’avais la nostalgie du passé, de mon enfance, de ma jeunesse, d’un compagnon. Je n’étais que manque lancinant. »
Page 410 :
« C’est sans doute un des dangers de l’âge mûr : en quittant le monde où on était désiré et désirant, on risque de devenir indifférent à toute une série de choses. »