L’ÉTREINTE

19 Mai 2021

Un film de Ludovic Bergery.

Il y avait comme un air de fête, ce matin (19 mai), à l’UGC Les Halles à Paris, comme, sans nul doute, dans beaucoup d’autres cinémas de France qui rouvraient leurs portes. À l’UGC, les journalistes étaient présents, interviewant des spectateurs évidemment aux anges. Quant au film pour lequel j’ai opté, je n’ai eu qu’à me féliciter de mon bon choix et ce, d’autant plus que son réalisateur, Ludovic Bergery, et ses deux acteurs principaux, Vincent Dedienne et Emmanuelle Béart, étaient présents, tout heureux de dire quelques mots aux spectateurs, de les inviter à parler du film et de le recommander à d’autres.

Sur ce dernier point, fort heureusement, je n’ai pas à me forcer pour obtempérer, car le film est réellement bourré de qualités. Ludovic Bergery, qui, jusqu’à présent, s’est surtout fait connaître en tant qu’acteur, réalise là son premier long-métrage et c’est un coup de maître ou, si l'on préfère, un film très prometteur. D’abord, il faut le dire, parce que le cinéaste a fait l’excellent choix d’en proposer le rôle principal à Emmanuelle Béart. Cela fait neuf ans qu’on ne l’avait pas vue dans un premier rôle et celui que lui a confié Ludovic Bergery lui convient à merveille. Elle l’endosse, elle l’assume, elle l’incarne comme la grande actrice qu’elle est, avec un naturel et une simplicité qui font mouche.

Dans le film donc, elle porte le joli prénom de Margaux et se trouve à un moment charnière de sa vie. Femme d’une cinquantaine d’années, elle vient, après avoir perdu, six mois plus tôt, son mari, décédé du fait d’une maladie, de quitter Nice pour venir s’installer non loin de sa demi-sœur, à Neauphle-le-Château. Surtout, elle veut essayer de se construire une nouvelle vie et, pour y parvenir, de retourner sur les bancs de l’université, en fac d’allemand. Bien évidemment, ce choix lui fait rencontrer d’autres étudiants, mais beaucoup plus jeunes qu’elle. Pourtant, quelque chose se noue entre les jeunes gens et elle, quelque chose qui dépasse la simple camaraderie, surtout avec l’un d’eux, Aurélien (Vincent Dedienne), un homosexuel qui ne tarde pas à se muer en une sorte de confident. En sus, Margaux participe, ou s’y efforce, aux fêtes ou aux frasques des étudiants, malgré la différence d’âge.

En fait, ce que Ludovic Bergery nous fait découvrir, par petites touches, en s’appuyant sur le jeu tout en finesse d’Emmanuelle Béart, c’est le gouffre de solitude dans lequel Margaux a peur de se perdre. La proximité de sa demi-sœur ne peut rien y changer, Margaux est une femme qui souffre d’être seule et veut, par tous les moyens, combler le vide de son existence, par le biais du désir, ce qui inclut de renouer avec l’amour physique. Avec son mari défunt, on le comprend, cette forme d’amour-là n’était plus guère de mise depuis longtemps. Mais faire l’amour, c’est aussi renaître à la vie.

Malheureusement, les désillusions ne manquent pas. Margaux s’inscrit sur un site de rencontres et, bientôt, répond à des rendez-vous. Et elle navigue, en quelque sorte, entre espoirs, plaisirs fugitifs, déceptions… Son portrait ne laisse pas d’être particulièrement touchant. Par moments, il semble même que Margaux, malgré son âge, ressemble à une adolescente se livrant à ses premiers émois.

Ainsi se décline ce beau film, triste et sensuel, tout en laissant place à d’exquises notes d’humour, qui, cerise sur le gâteau, fait entendre, lors des séances en université, la langue allemande dans toute sa beauté. Une langue que l’on se plaît, en France, y compris dans des films, à caricaturer, mais qui, dans L’Étreinte, se donne aux spectateurs dans sa splendeur, une langue musicale ô combien agréable à l’oreille ! Quant à Margaux, dont le père était allemand, c’est peut-être précisément non pas en France mais dans le pays de Goethe qu’elle pourra le mieux combler sa solitude, sait-on jamais…

8/10

Luc Schweitzer, ss.cc.