MÉDECIN DE NUIT

Un film de Élie Wajeman.

Dès la première scène du film, on devine qu’on n’aura pas affaire à une chronique ordinaire sur le monde de la santé vu par le prisme d’un médecin de nuit. En effet, c’est dans sa voiture que Mikael (Vincent Macaigne) est en train de dispenser une consultation et de délivrer une ordonnance à un homme qui, visiblement, est un toxicomane. Cette scène initiale, la suite du film la réitère à plusieurs reprises, mais dans un climat de malaise et de  tension qui ne cesse de grandir car, visiblement, le médecin est complice d’une combine. Le Subutex, médicament prescrit pour soulager les toxicomanes en manque, est au cœur même du dispositif dramatique de cette œuvre. Mikael remplit des quantités de fausses ordonnances, non pas seulement pour soigner des malades, mais aussi dans le but d’aider Dimitri (Pio Marmaï), son cousin pharmacien, lui-même totalement engagé dans un trafic de médicaments qui peut rapporter gros. Ce dernier s’emploie à convaincre Mikael de prescrire également un autre produit, le fentanyl, plus puissant mais aussi beaucoup plus dangereux que le Subutex, mais en vain. Mikael s’y refuse obstinément.

L’intrigue du film se déroule sur une seule nuit, une nuit qui ressemble à une descente aux enfers avec des éclairs de violence mais aussi, à contrario, à une prise de conscience et à une avancée vers le salut, avec une sorte de sacrifice à la clé. On a affaire ici à un film noir, très noir, mais avec des trouées de lumière et, pour finir, une forme de rédemption. Mikael n’est pas un personnage taillé d’un seul bloc. Sa complexité, ses multiples facettes, Vincent Macaigne (dans un rôle fort différent de ceux qu’on lui confie habituellement) les incarne avec une incroyable maîtrise. En effet, s’il se livre à un trafic de médicaments, c’est uniquement pour aider son cousin et il n’en demeure pas moins un médecin, avec ce que cela peut signifier en fait de générosité et d’abnégation. On le devine néanmoins (et de plus en plus, au cours du film, comme s’il se métamorphosait) fatigué, au bout du rouleau, désireux de changer de vie, d’en finir avec les trafics et le travail de nuit. Une des plus belles scènes du film en fait état avec subtilité en inversant les rôles : une patiente que Mikael visite devine son mal-être, se met au piano et joue une sonate. En cet instant-là, c’est le médecin qui devient le malade et la malade le médecin prodiguant des soins de musicothérapeute.

Il faut dire que si Mikael ne va pas bien, ce n’est pas seulement parce qu’il participe à un trafic douteux de médicaments, mais aussi parce que sa vie privée est pour le moins complexe. D’un côté, en effet, il y a, outre ses deux filles, sa femme Sacha (Sarah Le Picard) qui n’en peut plus de ses absences répétées, chaque nuit. De l’autre, il y a Sofia (Sara Giraudeau), une employée de la pharmacie de Dimitri, avec qui Mikael entretient une liaison, alors que, par ailleurs, la jeune femme est demandée en mariage par son employeur.

Pris à la gorge, devant faire face à trop de complications pour un seul homme, Mikael se doit, s’il ne veut pas totalement s’effondrer, sortir de la spirale infernale dans laquelle il est impliqué. Il en est manifestement conscient et l’on peut dire que la nuit que le réalisateur filme est, pour Mikael, à la fois la nuit de tous les dangers et la nuit de la dernière chance, celle où il lui faut faire des choix draconiens ou se perdre à jamais : en finir avec le travail de nuit, s’engager chez Médecins du Monde, et, ainsi, sauver son couple légitime, sa famille ; ou continuer à trafiquer des ordonnances afin d’aider son cousin pharmacien à rembourser les dettes qu’il a contractées ; ou encore prendre la poudre d’escampette avec son amante Sofia… Qu’y a-t-il au bout de la nuit ? L’aube et sa lumière, c’est-à-dire l’espoir d’une vie meilleure, d’un amour retrouvé ? Par le moyen d’une mise en scène tirée au cordeau et de la formidable interprétation de Vincent Macaigne, l’on n’a pas de peine à rester captivé jusqu’au dénouement, un dénouement à la fois dramatique et ouvert à l’espoir…

8/10

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

MÉDECIN DE NUIT Bande Annonce (2020) Vincent Macaigne

MÉDECIN DE NUIT Bande Annonce (2020) Vincent Macaigne© 2020 - Diaphana Distribution

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