Un livre de Sylvain Tesson.
L’excellente collection Un été avec s’enrichit, cette année, d’un volume sur Rimbaud : c’est l’occasion non seulement de réviser un classique, mais surtout de se laisser surprendre par un texte qui ne s’embarrasse ni d’interprétations hasardeuses ni d’idées toutes faites. Et puis, bien sûr, si, en sus, le texte de Sylvain Tesson incite à lire ou relire les écrits de Rimbaud, ce sera tout bénéfice.
Lire Rimbaud, comme le rappelle Sylvain Tesson, n’est pas effrayant du point de vue de la quantité de pages à parcourir. En Livre de Poche, par exemple, les œuvres complètes (hormis les lettres) tiennent en deux minces volumes. Mais quant au contenu, c’est autre chose. Et il peut se trouver, aujourd’hui encore, des personnes rétives, voire franchement antagonistes. J’en ai vu, de ces personnes qui font la moue rien qu’à entendre prononcer le nom de Rimbaud ! De son vivant, il dérangeait et son génie ne fus quasiment pas perçu. Aujourd’hui encore, semble-t-il, « le passant considérable », comme l’appelait Mallarmé, fait peur à certaines bonnes âmes qui n’aiment rien tant que ce qui n’échappe pas à la norme.
Il n’a pas manqué, pourtant, d’interprètes ou d’exégètes bien intentionnés pour tâcher de faire entrer Rimbaud dans le rang, pour le rendre plus aimable ou plus discipliné. Lui coller une étiquette, quelle qu’elle soit, cela rassure, n’est-ce pas ? Les génies tels que Rimbaud, on s’efforce toujours de les discipliner. Les hommes de lettres, entendons ceux qui sont reconnus, adoubés de leur vivant contrairement à Rimbaud, ceux-là ne se sont pas privés de l’accommoder à leur sauce : chrétien pour Claudel, surréaliste pour Breton, anticlérical pour d’autres, et communiste pour d’autres encore, et précurseur de la psychanalyse, et quoi encore ?
Fort heureusement, Sylvain Tesson les envoie tous paître, d’une certaine façon, tous ceux qui ont cru avoir trouvé la clef du mystère Rimbaud. Il se hasarde bien à quelques hypothèses, mais il s’attache surtout à évoquer le poète, tout comme l’aventurier, au moyen d’un texte plus poétique que véritablement exégétique. Écrire poétiquement sur Rimbaud, on ne peut demander mieux. Nul besoin, par conséquent, de s’attarder sur ce que Étiemble appelait les « crétineries de l’interprétation ». Rimbaud est un homme ambigu, complexe, qu’il ne saurait être question d’enfermer dans des formules, même si quelques-unes des formidables inventions rimbaldiennes en ont pris rapidement le statut (« Je est un autre », par exemple).
Chercher le sens n’est pas une nécessité. La poésie n’est-elle pas, comme l’écrivait Verlaine, d’abord et avant tout musique. Laissons les charabias à interpréter jusqu’à en avoir des maux de tête aux philosophes. En poésie, ce qui prime, c’est la musique. « Arthur lui-même, écrit Sylvain Tesson, fit l’aveu qu’il n’y a peut-être rien d’autre à trouver dans ses vers qu’hallucinations, électrocutions de l’œil, sans messages engagés ni toute cette ferblanterie du signifié, du signifiant et autres grelots de Trissotins. »
Quant au mystère du poète cessant d’écrire afin de vivre une vie de marchand et de voyageur, si elle ne cesse pas de surprendre, elle donne la preuve, si besoin est, qu’aucune des étiquettes qu’on a voulu appliquer à sa personne et à son œuvre n’est acceptable. Sauf peut-être celle de voyageur, puisque, dès l’âge de l’enfance et durant toute sa courte vie, il ne cessa d’avoir la bougeotte. Et Sylvain Tesson, très inspiré puisque lui-même grand voyageur, d’écrire sur ce sujet parmi les plus belles pages de son livre. Comme il l’exprime, d’ailleurs, au détour d’une phrase, sur ce sujet-là aussi, d’une certaine manière, Rimbaud dérange. À l’heure où, à cause de la pandémie de COVID, on nous a enjoints de prendre soin de nous-mêmes et de rester chez nous, voici le portrait d’un homme, un poète, un « voleur de feu » qui fit exactement le contraire de tout ça !
9/10
Luc Schweitzer, ss.cc.