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LÀ OÙ LES TIGRES SONT CHEZ EUX

Un roman de Jean-Marie Blas de Roblès.

 

                 Quand on commence à lire ce gros livre de 766 pages, on est pris de crainte, on se demande si trop d’érudition et trop de récits ne vont pas finir par lasser. Mais la crainte a vite fait de laisser place à la fascination : on est d’abord intrigué, puis subjugué, par l’histoire, ou plutôt par les histoires qu’a entrepris de nous raconter l’auteur. Je dis bien « les histoires » car il s’agit ici d’un roman à tiroirs, autrement dit d’un entrelacs de divers récits qui font voyager à la fois dans le temps et dans l’espace.

                  Au cœur de l’ouvrage nous sont rapportées les aventures d’un personnage ayant réellement existé, le Père jésuite Athanase Kircher (1602-1680) qui fut une sorte de génie encyclopédique et autodidacte de son époque, un extraordinaire touche-à-tout qui a parcouru l’Europe et s’est passionné aussi bien pour la linguistique que pour les mathématiques, pour l’astronomie, pour l’alchimie, pour la médecine, pour la zoologie, pour la vulcanologie, etc. Infatigable et sentencieux, il a écrit une quarantaine d’ouvrages, se vantant de parler chinois, d’avoir réussi à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens, d’avoir inventé des dizaines de machines (dont une sorte d’ancêtre de notre ordinateur !). Bref, c’était un personnage étonnant, fort célèbre en son temps puisqu’il correspondait aussi bien avec les papes qu’avec les souverains. Mais c’était aussi un homme qui, sans doute effrayé par ce qu’il voyait poindre, restait attaché à une conception ancienne du monde, basée sur les lumières de la foi et des Saintes Ecritures plus que sur celles de la raison. Autant dire qu’il s’est beaucoup trompé et a énoncé pas mal de sottises !

                  Parallèlement à l’histoire d’Athanase Kircher, qui nous est racontée par Caspar Schott, un de ses disciples, de nombreux autres récits parsèment le livre de Jean-Marie Blas de Roblès. Nous découvrons ainsi, au fil des pages, les atermoiements et les réflexions d’Eléazard von Wogau, un universitaire fourvoyé dans le journalisme et vivant dans le Nordeste brésilien, qui a accepté de travailler à l’édition moderne du manuscrit de Caspar Schott. Puis on découvre Elaine, l’ex-épouse d’Eléazard, participant à une expédition paléontologique dans le Mato Grosso, expédition qui ne tardera pas à virer au cauchemar. Il y a également Moéma, la fille d’Elaine et Eléazard, qui, perturbée par le divorce de ses parents, mène une vie de bâton de chaise en compagnie de ses amis, et bien d’autres personnages encore, dont Nelson, un cul de jatte vivant dans une favela et rêvant de pouvoir s’acheter un fauteuil roulant…

                  Impossible de résumer toutes ces histoires, bien entendu, mais si l’on se demande ce qui les lie, ou quel est leur dénominateur commun, on pourrait dire qu’il s’agit d’un thème vieux comme le monde, celui de la quête, quête dont le Graal serait ici la connaissance : connaissance du monde, de soi, des autres… Voilà peut-être ce qui, de manière consciente ou inconsciente, anime quasiment tous les personnages du livre. Et peu importe, en fin de compte, si, comme Athanase Kircher, on se fourvoie quelque peu ou si l’on énonce quelques âneries, le plus important n’étant pas de trouver, mais de chercher et de chercher encore sans se lasser.

                  On comprendra aisément, en tout cas, que ce livre, à la fois récit historique, conte philosophique et roman d’aventure, ait demandé plus de dix ans de travail à son auteur. Le prix Médicis, qui lui a été accordé, est bien sûr amplement mérité.

 

Jean-Marie Blas de Roblès, « Là où les tigres sont chez eux », Zulma, 766 pages.

 

 

                                                                 Luc Schweitzer.

Tag(s) : #Livres, #Romans
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