Un roman de Mary W. Shelley.
Ce célèbre roman ayant déjà suscité de nombreux commentaires et analyses, je me contenterai de noter ici les quelques réflexions qui me sont venues à l’esprit au cours de ma lecture. Il me faut d’abord préciser que, jusqu’à aujourd’hui, je n’avais encore jamais pris la peine de lire cet ouvrage, me bornant à en connaître la teneur par le biais des adaptations cinématographiques dont il fit l’objet, à commencer par les plus réputées d’entre elles, le Frankenstein de 1931 et La Fiancée de Frankenstein de 1935, deux films de James Whale avec la sidérante et inoubliable interprétation de Boris Karloff dans le rôle de la créature. Or, et ce fut l’une des grandes surprises que vient de me procurer la lecture du roman, les scénarios des films, aussi remarquables soient-ils, se démarquent considérablement du contenu du livre de Mary Shelley.
Bien sûr, il reste une ossature commune, mais le roman de Mary Shelley se révèle bien plus complexe et bien plus troublant que ne le sont les intrigues imaginées par les scénaristes d’Hollywood. (Il existe, bien sûr, d’autres adaptations, mais je ne les connais pas.) C’est le cas, en particulier, pour ce qui concerne la créature de Frankenstein, du monstre incarné par Boris Karloff, monstre n’étant rien de plus qu’un être hideux se déplaçant comme un automate et n’étant pas doué de parole (il n’émet, de temps à autre, que de pitoyables cris de bête).
Rien de tel dans le roman de Mary Shelley, roman construit sous la forme de trois récits enchâssés les uns dans les autres : celui de Robert Walton, capitaine d’un navire explorant les mers glacés du grand Nord et ayant recueilli à bord un homme à la dérive sur un bloc de glace, homme qui n’est autre que Victor Frankenstein ayant entrepris de poursuivre sa créature dans ces lieux de désolation ; d’où le deuxième récit, celui de Frankenstein en personne expliquant à Robert Walton le déroulement des évènements l’ayant conduit jusqu’à cette extrémité (pourchasser sa créature afin de l’éliminer) ; enfin, au cœur de cette narration, se situe une entrevue avec celui qui est désigné comme le « monstre » et qui se met, à son tour, à raconter son histoire.
Car, et c’est là la surprise majeure pour qui ne connaît que l’interprétation de Boris Karloff, le « monstre », tel qu’il apparaît dans le roman, n’est pas un être bestial ou, en tout cas, il ne peut être réduit à cette seule définition. Au contraire, son discours explicatif, celui qu’il tient à son créateur, Victor Frankenstein, ne manque ni de subtilités ni de raffinements. On découvre un être hideux, du fait de son apparence physique, son créateur n’étant pas parvenu à lui donner une apparence plus agréable, mais ne manquant pas sinon de délicatesse, en tout cas d’habileté, pour ce qui concerne l’esprit. Il s’en explique d’ailleurs longuement, racontant comment il a appris à parler et même à lire en espionnant une famille à proximité de laquelle il s’était établi. En lisant ces pages, si l’on se demande, il faut le dire, à quel point elles peuvent paraître crédibles, on en est amené, quoi qu’il en soit, à ne plus considérer cette créature comme un simple objet de répulsion. Quand le « monstre » se met à évoquer les lectures qu’il put mener à bien dans sa solitude, on n’en revient pas, car il ne lut rien moins que Les Vies des Hommes illustres de Plutarque, Le Paradis perdu de John Milton et Les Souffrances du jeune Werther de Goethe. On n’imagine pas le personnage joué par Boris Karloff se livrant à ce genre d’occupations !
Mais alors, pourquoi donc cet être à l’esprit raffiné se change-t-il, de fait, en « monstre » se livrant à d’épouvantables meurtres ? L’explication est simple. Se mettant à la place de Dieu, Frankenstein a néanmoins créé un être affamé de reconnaissance et d’amour, un être vivant, non seulement doué de raison, mais ayant un cœur. Au point que, comme un nouvel Adam qui cherche son Ève, il en vienne à exiger de son créateur qu’il lui fabrique un être semblable à lui, mais de sexe féminin. Ce à quoi, après des atermoiements, se refuse Frankenstein, un Frankenstein de plus en plus déterminé à affronter sa propre créature dans un combat à mort. En fin de compte, si le mot « monstre » peut réellement désigner la créature de Frankenstein, c’est parce que, rejetée par tous les êtres humains, du fait de son apparence physique, condamnée et haïe par son inventeur, elle en vient elle-même à être dévorée par la détestation de tous, à commencer par celui qui l’a « mise au monde ». C’est la haine qui engendre la haine. Pour reprendre une célèbre formule en l’adaptant au cas présent, on ne naît pas monstre, on le devient !
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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Frankenstein ou le Prométhée moderne - Wikipédia
Frankenstein ou le Prométhée moderne Frontispice de l'édition de 1831. Auteur Mary Shelley Pays Royaume-Uni Genre Gothique, science-fiction Horreur Version originale Langue Anglais Titre ...
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