Un film de Hélier Cisterne.
C’est alors que l’on vient de commémorer les soixante ans des accords d’Évian (18 mars 1962) qu’arrive sur nos écrans ce film qui nous ramène aux prémices de la guerre d’Algérie. Pour ce faire, le réalisateur Hélier Cisterne s’est inspiré du destin tragique d’un pied-noir, Fernand Iveton, militant communiste qui fut guillotiné le 11 février 1957 à Alger. Ajoutons d’ailleurs qu’il le fut sous l’aval de celui qui était alors le garde des sceaux, un certain François Mitterrand. Ce ne fut pas le seul cas, comme le rappelle une mention à la fin du film : pendant son mandat, la guillotine fut actionnée 45 fois. Pas très glorieux, de la part de celui qui cautionna, bien des années plus tard, l’abolition de la peine de mort !
Mais venons-en à l’histoire de Fernand Iveton, que le cinéaste filme avec une admirable empathie. Précisons aussitôt qu’il s’agit de l’histoire d’un couple, plutôt que de celle d’un homme seul. Le réalisateur accorde autant de place à Hélène, la compagne de Fernand, qu’à ce dernier, ce qui contribue indéniablement à la réussite du film. D’autant plus qu’on a affaire à un acteur et une actrice qui s’emparent de leurs rôles respectifs avec une conviction si grande que, dès les premiers plans, elle fascine le spectateur. Pouvait-on trouver mieux que Vincent Lacoste et Vicky Krieps pour incarner de tels personnages ?
Tous deux se rencontrent en France métropolitaine en 1954 et tombent amoureux l’un de l’autre. Pas étonnant, tant ils ont de charisme, de charme et d’appétit de vivre. Sans jamais se cantonner à une narration simplement chronologique, le réalisateur privilégie, dans un premier temps, les scènes de bonheur que partagent Fernand et Hélène, à Alger. Tout paraît alors leur sourire, sauf quand il est question de l’engagement politique de Fernand. Pour Hélène, qui a des origines polonaises, le mot « communiste » n’a pas la même signification que pour son homme, c’est le moins qu’on puisse dire. Pour lui, le communisme est synonyme de libération des peuples opprimés, pour elle c’est le contraire. Pourtant, et c’est la force d’un amour qui ne renonce jamais, lorsque surviennent les épreuves, Hélène fait preuve d’un engagement sans faille pour l’élu de son cœur.
Fernand, lui aussi, est amoureux, cela ne fait aucun doute, mais, malgré les risques encourus, il ne peut rester sans rien faire, dans une Algérie qui, de plus en plus, bouillonne et se révolte contre l’oppression. Une inscription raciste sur un écriteau, en bord de plage, le met dans tous ses états. Mais il va bientôt beaucoup plus loin : lui qui travaille comme tourneur-fraiseur dans une usine est bien placé pour tenter un acte de sabotage. C’est alors que tout bascule dans la tragédie, le film bifurquant sur le terrain carcéral et judiciaire. Sans rien occulter des méthodes couramment employées à cette époque bien peu glorieuse pour la France : la torture. À quoi s’ajoute un procès inique. Et la peine de mort. La réalisation soignée, sans faille, de Hélier Cisterne nous interpelle en nous rappelant un des épisodes d’une page d’histoire qui ne fait pas honneur à la France, tout en contribuant un peu à combler un manque, la guerre d’Algérie n’ayant fait l’objet, jusqu’à aujourd’hui, que d’un nombre restreint de films.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.