Un film de Jan P. Matuszinski.
Ceux qui vivaient à cette époque n’ont pas pu oublier l’image glaçante que renvoyait le général Wojciech Jaruzelski (1923-2014), l’homme qui, toujours affublé de lunettes noires, gouvernait la Pologne communiste des années 80. Son aspect lugubre, son intransigeance et sa froideur, tous ceux qui collaboraient, d’une manière ou d’une autre, à quelque niveau que ce soit, à la gouvernance du pays les avaient pris pour modèles. C’est dans ce contexte que, alors qu’ils s’apprêtent à passer leur bac, deux étudiants, Jurek et Grzegorz, tout joyeux de se balader sur la grand-place de Varsovie, sont contrôlés par la « milice citoyenne » (telle est l’expression qui servait à désigner la police). Emmenés au poste, Grzegorz est tabassé, sans raison, sous les yeux effarés de son ami, lui-même immobilisé par la poigne d’un policier. Plus tard, bien plus tard, conduit à l’hôpital, le jeune homme finit par décéder des suites des coups qu’il a reçus dans le ventre (« pour que ça ne laisse pas de marques », avait dit un des policiers).
Or le retentissement de cette affaire, d’autant plus grand qu’il y a un témoin d’une part et que, d’autre part, la mère du garçon tué est une poétesse engagée auprès du syndicat Solidarnosc, met dans l’embarras les autorités du pays qui, dès lors, se démènent pour blanchir les policiers mis en cause. Pas question, pour le régime en place, d’accepter une éventuelle condamnation par un tribunal des fonctionnaires de police. Basé sur une enquête menée par un journaliste polonais en 2016, le film reproduit fidèlement, de façon détaillée, chacune des étapes du processus d’intimidation mis en place dans le but d’effrayer Jurek, le témoin, afin qu’il revienne sur ses accusations, ainsi que la mère de Grzegorz, pour qu’elle retire sa plainte. De ce fait, on peut reprocher au film quelques longueurs. Mais on n’en reste pas moins impressionné par la précision avec laquelle le réalisateur a réussi à reproduire le climat mortifère, sinistre, qui prévalait dans la Pologne de cette époque.
Par contraste avec la tristesse qui imprègne la plupart des scènes du film, paradoxalement, ce sont celles qui montrent les obsèques du garçon assassiné qui semblent les plus sereines, les plus paisibles. La foule qui se presse dans l’église où ont lieu les funérailles présidées par le Père Jerzy Popieluszko (qui sera lui-même assassiné en octobre 1984) et la foule, encore plus nombreuse (60 000 personnes, estime-t-on), qui accompagne le cercueil jusqu’au lieu de l’inhumation, impressionne par son recueillement, mais aussi par la force tranquille qu’elle dégage. De voir autant de monde réuni pour ce moment de deuil et de communion, avec la présence explicite du syndicat Solidarnosc, effraie les autorités du pays qui redoublent aussitôt de ruse, de fourberie et de malveillance pour faire se rétracter les plaignants. On devine les tenants du régime en place tourmentés, comme s’ils pressentaient que leur pouvoir est vacillant, que leurs jours sont comptés.
En voyant ce film qui rappelle des événements d’un passé proche, on ne peut pas ne pas songer à ce qui se passe aujourd’hui, en Pologne, en Hongrie, en Russie et dans d’autres pays gouvernés par des conservateurs peu soucieux (c’est le moins qu’on puisse dire) du respect des Droits de l’Homme. Comme l’écrit un journaliste de Ktytyka Polityczna, revue de la nouvelle gauche polonaise, « le pouvoir (celui de la Pologne d’aujourd’hui) indique la marche à suivre au parquet et met au pas les tribunaux. Bien sûr, nous sommes encore une démocratie et sans doute même encore un État de droit, nous sommes loin de la Pologne communiste de Jaruzelski, mais les tendances sont inquiétantes. »
7,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
/https%3A%2F%2Fi.ytimg.com%2Fvi%2FBVmEaTsVYeo%2Fhqdefault.jpg)
VARSOVIE 83, UNE AFFAIRE D'ÉTAT | BANDE-ANNONCE OFFICIELLE
AU CINÉMA LE 4 MAI 2022un film de Jan P. Matuszyńskiavec Tomasz Kot, Tomasz Zietek, Sandra KorzeniakSYNOPSISVarsovie, 1983. Le fils d'une militante proche de...