Un film de Maria Schrader.
Imaginons un instant que nous puissions disposer à notre guise d’un robot humanoïde capable de répondre à tous nos désirs, si ce ne sont même à nos moindres caprices. Qu’adviendrait-il de nous ? Comme évoluerions-nous ? Serions-nous plus heureux parce que nous aurions à notre service un robot d’apparence humaine qui se soumettrait à toutes nos volontés ? Et, dans le cas où nous aurions le sentiment de nager dans le bonheur, que resterait-il de notre propre humanité ? Dans un cas de figure tel que celui que je propose à notre imagination, quels changements s’opéreraient ? Est-ce le robot qui aurait tendance à s’humaniser ou l’humain qui se robotiserait au fil du temps ?
En réfléchissant à ces éventualités, qui sont au cœur de ce film, j’avais en tête une personnalité de la musique symphonique dont je suis en train de lire une excellente biographie (j’y reviendrai sans doute dans un prochain article) : Anton Bruckner (1824-1896). Que serait-il advenu d’un tel génie si un être humanoïde avait pu se rendre présent pour satisfaire ses immenses frustrations ? Bruckner, qui portait en lui un ardent désir d’aimer, qui déclara sa flamme à un grand nombre de jeunes femmes pour être à chaque fois déçu dans ses espérances et qui transposa, qui sublima son cœur brûlant dans ses sublimes symphonies. S’il avait pu disposer d’un être humanoïde pour combler ses manques, peut-être aurait-il été plus heureux, mais nous n’aurions pas eu de symphonies, en tout cas pas celles que nous connaissons et, sans doute, auraient-elles manqué de ce qui fait leur beauté !
Cet exemple peut paraître incongru et, d’une certaine façon, il l’est, d’autant plus que Bruckner ressemblait à un homme du Moyen-Âge égaré au XIXème siècle, mais il aide néanmoins à comprendre les enjeux du film de Maria Schrader (un film allemand, malgré le titre anglais sous lequel il est exploité en France !). Lors d’une des dernières scènes, Alma (Maren Eggert), la protagoniste principale, rencontre un homme, laid de visage, accompagné d’une jolie femme, qui n’est autre qu’une robote humanoïde. Or cet homme qui, du fait de son visage disgracieux, n’a jamais connu l’amour d’une femme (tout comme Bruckner pour la même raison), se déclare l’homme le plus heureux du monde, maintenant qu’il a affaire à un être qui répond à ses désirs. Mais à quel prix, se demande-t-on, et pour tomber dans quelle déchéance, dans quelle perte de soi-même ?
Alma, quant à elle, jeune scientifique spécialisée dans les écritures cunéiformes, passe par tous les stades possibles, dans ses liens avec Tom, l’humanoïde avec lequel elle doit cohabiter pendant un certain temps, avant de rendre son rapport sur ce sujet. De l’embarras à la prise de conscience du risque d’une perte d’humanité, en passant par une forme de séduction, si ce n’est d’addiction : le film, malgré quelques longueurs, analyse, avec pas mal de finesse, toutes ces phases, pour poser, pour nous poser l’incontournable question : qu’est-ce qu’un humain ? 7,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.