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AS BESTAS

Un film de Rodrigo Sorogoyen.

 

 

S’il est des films qui prennent le spectateur à la gorge dès les premières scènes pour ne plus le lâcher jusqu’à la fin, As Bestas de Rodrigo Sorogoyen en fait certainement partie. D’entrée de jeu, le réalisateur, au moyen de quelques scènes au réalisme puissant, introduit un climat de tension extrême qui ne se relâchera jamais totalement. Cette tension, c’est celle qui oppose Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), un couple de Français venus s’installer dans un village des montagnes de Galice pour y pratiquer une agriculture écoresponsable et y restaurer bénévolement des maisons, et leurs voisins, Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido) Anta, des Galiciens pur jus et fort peu amènes. Les motifs du contentieux relèvent de plusieurs causes : un rejet des étrangers, tout particulièrement quand ce sont des Français (que certains Galiciens détestent copieusement, de génération en génération, depuis l’occupation de l’armée napoléonienne) et un sursaut d’orgueil de la part de « bouseux » peu éduqués qui ont le sentiment d’être méprisés par ces nouveaux arrivés, issus d’un milieu social bien supérieur au leur. À ces raisons-là s’en ajoute une autre : le projet d’érection d’un parc d’éoliennes sur les terrains du village. Antoine et Olga s’y opposent fermement, tandis que Xan et Lorenzo l’approuve (les émoluments qu’ils toucheraient leur permettraient d’augmenter leur niveau de vie de façon conséquente).

Les deux Galiciens n’y vont pas de main morte pour essayer d’intimider Antoine. Leur arrogance s’accompagne de paroles violentes, de menaces et même de sabotages, puisqu’ils vont jusqu’à polluer l’eau du puits dont se servent les Français pour l’arrosage de leurs cultures. La tension ne cesse de monter d’un cran, de scène en scène, pendant une bonne partie du film, malgré quelques essais de conciliation de la part d’Antoine. Malgré cela, Rodrigo Sorogoyen parvient à éviter le piège du manichéisme : si on éprouve une sympathie réelle pour Antoine et Olga, on ne peut pas ne pas se mettre tant soit peu du côté des Galiciens blessés, courroucés d’être toujours traités par le mépris (c’est, quoi qu’il en soit, le sentiment qu’ils éprouvent). Chacun a ses raisons, au point qu’il est impossible de désigner les uns comme les bons et les autres comme les méchants. Jusqu’à ce que survienne l’irrémédiable, l’évènement tragique qui fait basculer le film, propulsant Olga (qui, jusque là, restait en retrait) au premier plan, elle et sa fille, venue de France pour la rejoindre et la supplier de quitter la Galice.

Il faut saluer, comme il se doit, la mise en scène, très efficace, de Rodrigo Sorogoyen, qui parvient à donner au film une impressionnante allure de faux western, sublimant les décors villageois autant que les plans en extérieur, les sombres montagnes de Galice, les profondes forêts, les chevaux, etc. Et, bien sûr, on ne peut qu’applaudir actrices et acteurs. À commencer par Denis Ménochet, acteur qui démontre avec une incroyable maîtrise sa capacité à jouer aussi bien de son aspect massif, puissant, que de ses fragilités. Dans son rôle qui s’affirme en dernière partie du film, Marina Foïs, qu’on pouvait croire, au départ, soumise à son mari au point d’être effacée, fait preuve, quant à elle, d’une volonté, d’une détermination qui laisse pantois. Enfin, les deux « gueules » du film, Luis Zahera le hâbleur et Diego Anido le taiseux ne risquent pas de passer inaperçus : chacune de leurs apparitions à l’écran est, pour le moins, mémorable. Avec ce film, Rodrigo Sorogoyen, qui avait déjà démontré ses talents dans ses réalisations précédentes, mais pas avec autant de force, compte dorénavant parmi les réalisateurs les plus doués d’aujourd’hui.

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Thriller
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