Une saga romanesque en six volumes de Michael McDowell.
Publiée aux États-Unis en 1983 sous forme de feuilleton, Blackwater, ambitieuse saga de Michael McDowell (1950-1999), vient enfin de sortir en traduction française, de manière échelonnée, aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Les six volumes sont maintenant à disposition des lecteurs. Il paraît d’ailleurs qu’il s’agit, d’ores et déjà, d’un gros succès d’édition. Ce qui ne me surprend guère, étant donné les qualités addictives du texte, mais peut-être étonnerait l’auteur lui-même, s’il vivait encore, lui qui estimait qu’écrire pour la postérité était totalement illusoire.
Sans être très innovante ni sur le fond ni sur la forme, la saga, qui compte, au total, quelques 1540 pages, se dévore avec gourmandise. En la lisant, on songe à ces succès populaires que furent les romans-feuilletons du XIXème, ceux d’un Alexandre Dumas, d’un Eugène Sue ou d’un Charles Dickens, pour ne prendre que ces exemples. D’autres y verront réunis, avec raison, tous les ingrédients nécessaires à la réalisation d’une série télévisée.
Michael McDowell, qui fut, entre autres, le scénariste du Beetlejuice (1987) de Tim Burton, nous transporte ici dans une contrée de l’Alabama, à Perdido, ville qui tient son nom d’un des deux cours d’eau qui la traverse, l’autre étant celui qui donne son titre à la saga, la Blackwater, l’ensemble romanesque couvrant les années 1919-1969. Des années riches en évènements, que ce soit en raison de la Grande Histoire (l’un des volumes s’intitule La Guerre, en l’occurrence celle de 1939-1945) ou du point de vue de l’histoire locale, les deux ayant, bien évidemment, de nombreuses interconnexions.
Mais c’est bel et bien le signe de l’eau qui s’impose tout au long du cycle romanesque. D’entrée, dès les premières pages, l’auteur décrit, de façon impressionnante, la crue qui submerge la ville, dont les habitants ont été évacués. Néanmoins, deux hommes qui parcourent la ville en canot découvrent une rescapée, une femme ayant passé plusieurs jours à l’étage supérieur d’un hôtel aux trois quarts inondé. Comment a-t-elle fait pour survivre tout ce temps ? Répondant au nom d’Elinor Dammert, « grande, mince, pâle, altière et belle, aux épais cheveux (…) d’un intense rouge argileux », elle est appelée à jouer un rôle de premier plan dans l’ensemble de la saga. Elle épousera, en effet, l’un de ses deux sauveurs, Oscar Caskey, propriétaire d’une des trois scieries de la ville, malgré l’hostilité de Mary-Love, la mère de ce dernier.
Cinquante ans plus tard, le cycle s’achève avec un nouveau déluge, sans discontinuer, pendant sept jours. Entre les deux, nous nous serons passionnés pour les destinées des membres de la famille Caskey, les circonstances et les intuitions de certains d’entre eux leur donnant, au fil du temps, de plus en plus de pouvoir et, surtout, de richesse. Mais si l’auteur parvient à subjuguer son lecteur, ce n’est pas seulement parce qu’il s’impose comme un conteur de premier ordre, mais c’est aussi parce que la plupart des personnages qu’il a imaginés ont une identité si forte qu’ils ne peuvent que marquer durablement le lecteur. C’est vrai, en particulier, de tous les personnages féminins : ce sont eux qui tiennent les rôles de premier plan dans le récit, ce sont eux qui, davantage que leurs interlocuteurs masculins, frappent les esprits.
De plus, il faut faire droit à cette singularité de la saga : elle conte les aventures de ses personnages au moyen de deux approches qui, subtilement, se confondent, l’une classiquement romanesque, l’autre fantastique. Ce deuxième aspect, s’il imprègne tout le roman, se détache parfois pour passer au premier plan, avant de se fondre dans l’épique, pour reparaître plus loin. Ainsi s’intègrent dans le récit des scènes de pur fantastique, certains des personnages, des femmes d’une même lignée (Elinor, sa fille Frances et l’une de ses petites-filles), ayant une double identité, humaine et infrahumaine, celle-ci dans un rapport étroit avec la rivière Perdido. Car, même dissimulé derrière des digues construites, malgré l’hostilité d’Elinor, après la crue dévastatrice par laquelle s’ouvre la saga, le cours d’eau impose sa présence obsédante tout au long de l’œuvre, au point qu’on peut le désigner comme un personnage à part entière.
Le grand nombre des personnages, les multiples évènements auxquels ils sont confrontés, tout est prétexte, enfin, à aborder de nombreux sujets, toujours avec sagacité : la place des femmes (elle est prépondérante, tout au long des six volumes), les questions d’héritage, de ségrégation raciale, de pouvoir, de richesse, etc. Il y a tout ce qu’il faut, dans cette grande fresque romanesque, non seulement pour tenir le lecteur en haleine mais pour lui donner de multiples occasions de réfléchir à la marche du monde.
8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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Michael McDowell (écrivain) - Wikipédia
Michael McDowell (de son nom de naissance Michael McEachern McDowell) est un écrivain et scénariste américain, né le et décédé le à Boston, Massachusetts. Stephen King le décrit comme " le...
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