Un film de Emmanuel Mouret.
Le marivaudage dans tous ses états, Emmanuel Mouret n’a cessé, de film en film, d’en explorer les contours et les dessous, certes toujours avec talent mais jamais encore avec autant de justesse, accordant à la perfection les contraires, légèreté et gravité, que dans Chronique d’une liaison passagère, œuvre dont pas une scène ne semble être de trop. En cours de projection, on se dit qu’on a affaire à une sorte de croisement, très réussi, entre l’art de la suggestion que maniait avec brio un Ernst Lubitsch (1892-1947) et la finesse des dialogues telle qu’on peut la trouver chez Woody Allen quand il est au meilleur de sa forme. Autant dire qu’on est en présence d’une oeuvre qui n’est que régal de cinéphile du début à la fin.
Cela commence très fort, par le premier rendez-vous que se sont fixés dans un bar Charlotte (Sandrine Kiberlain), femme célibataire et mère de deux enfants, et Simon (Vincent Macaigne), marié et père de plusieurs enfants. Aussitôt fusent les dialogues qui sont le sel du film tout entier, dialogues formidablement écrits et auxquels, bien sûr, il ne faut pas trop se fier. Car, entre ce qu’on dit et ce qu’on éprouve ou ce qu’on fait, il peut y avoir de sérieuses différences (comme l’indiquait déjà le titre du film précédent d’Emmanuel Mouret, Les Choses qu’on dit, Les Choses qu’on fait.) Charlotte, elle, y va sans détour : « On va boire un verre ou deux, dit-elle à Simon, et puis on va faire l’amour ». « Ça va vite, là », lui répond son interlocuteur, gêné, qui préfère prendre son temps en rappelant que, tout de même, il est marié et que ça ne va pas de soi, que de tromper sa femme. À quoi Charlotte répond qu’après tout, il n’est question que d’une affaire d’un soir et qu’il n’y a pas de raison d’en faire toute une histoire.
Ainsi commence une liaison qui, en vérité, n’est pas aussi éphémère que le laissait supposer la jeune femme. Le film se construit alors, de manière toute simple, sur l’enfilade des rendez-vous que se fixent, de semaine en semaine et de mois en mois, les deux amants. Or, ce qui pourrait s’avérer extrêmement monotone (une suite de rendez-vous galants) apparaît, au contraire, passionnant et réjouissant, de par l’inventivité (et souvent la drôlerie) des dialogues tout comme de par la diversité des décors choisis. Bien sûr, on se rend vite compte que les paroles qu’échangent les amants masquent des réalités plus profondes que l’on n’ose pas s’avouer. C’est tout l’art d’Emmanuel Mouret, de Sandrine Kiberlain et de Vincent Macaigne que de faire percevoir ce qui se cache derrière le flux des dialogues. Simon essaie maladroitement de préserver sa conscience quand il parle de sa double personnalité (son moi quand il est avec femme et enfants et son autre moi quand il est avec son amante). Quant à Charlotte, si elle paraît totalement dénuée de scrupules, que cache-t-elle en son moi le plus intime ?
Tout bascule lorsque les deux amants ont l’idée de répondre à une proposition de triolisme sur un site internet et qu’ils font la connaissance de Louise (Georgia Scalliet, parfaite). La scène où tous trois se retrouvent chez cette dernière, dans la maison où sont censés se dérouler leurs ébats, est, à elle seule, un pur régal de finesse et d’humour, réalisée par le cinéaste avec un formidable savoir-faire, soulignant, entre autres, la gêne de Simon. Cette scène est aussi le prélude à des changements de situation, mais surtout, au bout du compte, à la prise de conscience que, derrière la légèreté qui s’affichait volontiers, se cachait tout autre chose, une profondeur de sentiments qu’on n’avait pas osé se partager. On ne peut jouer indéfiniment avec les sentiments : telle pourrait être la morale de l’histoire.
Mais, pour finir, soulignons encore la formidable habileté dont fait preuve le cinéaste dans ce film, sans aucun doute le meilleur de sa filmographie à ce jour. Comme le génial Ernst Lubitsch en son temps, Emmanuel Mouret évite toute scène scabreuse en maniant à la perfection l’art de la suggestion. Cela apparaît tout au long du film, mais avec pour points d’orgue les deux séquences filmées dans des musées. Dans la première, tandis que Charlotte et Simon déambulent et discutent sans se soucier aucunement des tableaux, la caméra, elle, s’attarde un instant sur une toile de Bonnard représentant une femme nue dans son bain. Dans la deuxième, les deux amants ont été rejoints par Louise et, comme précédemment, ils ont l’air de se soucier comme d’une guigne des peintures, ce que ne fait pas la caméra qui se fixe un moment (de manière prémonitoire) sur Les Dormeuses de Courbet (deux femmes nues encore tout imprégnées des plaisirs de la chair). Comment insinuer bien des choses sans en avoir l’air, en passant d'un tableau qui montre une femme nue à un autre tableau qui en montre deux ! Emmanuel Mouret s’y prend avec l’aisance des cinéastes les plus doués.
8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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CHRONIQUE D'UNE LIAISON PASSAGÈRE Bande Annonce (2022) Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne
CHRONIQUE D'UNE LIAISON PASSAGÈRE Bande Annonce (2022) Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne © 2022 - Pyramide Distribution