Un film de José Luis Lopez-Linares.
Voyager à travers l’Espagne à la recherche de Francisco de Goya et de son œuvre, cela ne peut être qu’exaltant, et ce l’est davantage encore quand on a pour guide un homme avisé, connaisseur, subtil, tel que le fut le regretté Jean-Claude Carrière (1931-2021). Ce voyage, réalisé au début de 2020, fut le dernier que l’écrivain et scénariste effectua dans ce pays, précisément avec pour objectif la réalisation d’un documentaire. Ce que nous voyons donc aujourd’hui sur nos écrans, nous le recevons comme l’adieu de cet homme au grand peintre qui le passionnait.
Avec Jean-Claude Carrière, nous parcourons les lieux où vécut le peintre espagnol, depuis l’humble maison où il naquit, à Fuendetodos, en Aragon, le 30 mars 1746, jusqu’à Bordeaux, puisqu’il mourut en France en exil le 16 avril 1828. Et, bien sûr, nous allons à la découverte des œuvres, qu’elles soient dans des musées ou dans d’autres lieux, des églises par exemple. D’autres intervenants que Jean-Claude Carrière prennent également la parole au cours du film, pour éclairer tel ou tel aspect de l’œuvre du peintre. Ainsi du cinéaste Julian Schnabel. Mais celui qui habite le documentaire, presque autant que Carrière lui-même, c’est le cinéaste dont il fut l’ami et le collaborateur, Luis Buñuel (1900-1983). Présence qui se justifie pleinement, non seulement parce Buñuel était aragonais, tout comme Goya, non seulement parce qu’il souffrit de surdité, tout comme Goya à la fin de sa vie, non seulement parce que tous deux furent contraints de vivre une partie de leur vie en exil, mais aussi parce que, comme l’explique Jean-Claude Carrière, Goya fut, pour Buñuel, une source d’inspiration, bien plus que ne le furent les peintres surréalistes de son temps.
Revisiter l’œuvre de Goya, et en découvrir des aspects méconnus, avec des guides aussi pertinents, c’est un régal de tous les instants. L’œuvre du peintre, ses tableaux, ses fresques, mais aussi ses eaux-fortes, car il fut un remarquable graveur, s’offre à nos yeux, à notre sensibilité, à notre intelligence, dans toute son étonnante diversité. Il y a les peintures officielles et celles qu’il ne peignait que pour lui-même, sans se préoccuper de censure. Goya peignit toutes les couches de la société de son temps, depuis la famille royale jusqu’aux plus pauvres d’entre les pauvres. Rien ne le rebutait. Si, d’un côté, il se montrait habile à sublimer le bonheur de vivre en peignant, par exemple, une scène champêtre, de l’autre il se faisait un devoir de ne rien dissimuler des peines et des horreurs subies par des hommes, des femmes et même des enfants, à l’heure où sévissait la guerre, par exemple. Sur un de ses tableaux les plus célèbres, ne montre-t-il pas aussi des migrants, surplombés par l’étonnante silhouette d’un géant ? Et puis, lui qui devint sourd à la fin de sa vie (comme Buñuel, comme Beethoven), ne compensa-t-il pas la perte de l’ouïe en donnant une importance accrue aux regards ? Mais c’était déjà le cas avant qu’il ne devînt sourd. L’exemple le plus fameux, ce sont, bien évidemment les deux tableaux de la Maja : qu’elle soit vêtue ou qu’elle soit nue, elle nous regarde, nous qui l’admirons, droit dans les yeux ! Sans peur et sans honte ! Oui, Goya fut le peintre des sujets les plus variés, il peignit l’environnement qui était le sien, les humains de toute condition, il peignit parfois des sujets religieux, il peignit ou grava aussi ses propres tourments ou hantises, mais jamais d’une manière académique ni dans la banalité. Que ce soit du fait de ses thèmes, que ce soit du fait de son regard, que ce soit du fait de ses choix formels, son œuvre continue de nous interpeler, nous les humains de ce début de XXIème siècle.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
/https%3A%2F%2Fi.ytimg.com%2Fvi%2FIJK1jBJ1O9k%2Fhqdefault.jpg)
L'OMBRE DE GOYA PAR JEAN-CLAUDE CARRIÈRE Bande Annonce (2022)
L'OMBRE DE GOYA PAR JEAN-CLAUDE CARRIÈRE Bande Annonce (2022) © 2022 - Epicentre Films