Un film de Léopold Legrand.
En 2005, dans L’Enfant, avec le talent qui les caractérise, les frères Dardenne avaient filmé l’histoire d’un couple de marginaux trafiquant leur propre nouveau-né contre une somme rondelette à un de ces couples, assez fréquents de nos jours, ne parvenant pas à avoir un enfant issu de leur union. C’est un récit du même ordre que propose aujourd’hui Léopold Legrand mais, bien sûr, avec des particularités propres, une tonalité singulière, des personnages originaux.
Du côté du couple se résolvant à vendre leur enfant à naître, l’on a affaire, dans le film de Léopold Legrand, à des membres de ce qu’on appelle généralement aujourd’hui la communauté des gens du voyage, même si, en l’occurrence, on a affaire à des familles qui, tout en vivant dans des caravanes, se sont sédentarisées. Franck (Damien Bonnard) et Meriem (Judith Chemla) ont déjà cinq enfants et s’affolent à l’idée d’en avoir un sixième, alors qu’ils vivent dans la précarité du fait de leur surendettement. Quant à avorter, il n’en pas question, tous deux étant des catholiques convaincus pour qui cette solution serait criminelle.
Du côté du couple « acheteur », l’on a affaire, étonnamment, à deux avocats qui savent très bien quelle peine ils encourent en se livrant à un trafic d’enfant. Julien (Benjamin Lavernhe) ne cesse d’ailleurs de mettre en garde son épouse Anna (Sara Giraudeau) à ce sujet. C’est elle, en effet, qui, parce qu’elle est en « mal d’enfant » et parce qu’elle ne peut adopter par des voies légales (toutes ses demandes ont été rejetées), entreprend les démarches décisives et met tout au point (ou, du moins, le croit-elle) pour que le transfert d’enfant puisse avoir lieu, en toute discrétion, dès après l’accouchement.
Le cinéaste pose sur ces personnages un regard dénué de jugements mais non de questionnements. Comment se positionner par rapport à ce qu’on pourrait appeler « le droit à l’enfant » ? Jusqu’où peut-on aller, d’un point de vue éthique, pour que des couples ne pouvant avoir d’enfant issu de leur union puissent, néanmoins, devenir parents ? Ces questions sont sous-jacentes à ce film, un film qui parvient surtout à incarner ces réflexions, en mettant en scène des personnages parfaitement crédibles. Y compris même dans leurs ambiguïtés ou leurs incohérences. Franck et Meriem, tout aussi profondément catholiques qu’ils soient (on les voit prier en famille, par exemple, et Meriem se fait un devoir de demander à Anna de faire baptiser l’enfant qu’elle recevra), contraints par l’accumulation de leurs difficultés financières, par la précarité qui leur colle à la peau, acceptent et même participent à l’organisation de la vente de leur propre enfant à naître. Ce marchandage effarant, le cinéaste, aidé par un casting d’excellence, réussit magistralement à le rendre totalement crédible.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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LE SIXIEME ENFANT Bande Annonce (2022) Damien Bonnard, Sara Giraudeau
LE SIXIEME ENFANT Bande Annonce (2022) Damien Bonnard, Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe © 2022 - Pyramide Films