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UN BEAU MATIN

Un film de Mia Hansen-Løve.

 

 

Le mois dernier, du 21 au 26 septembre, la cinémathèque de Paris-Bercy proposait une rétrospective de l’ensemble des 8 films réalisés par Mia Hansen-Løve, depuis Tout est pardonné en 2007 jusqu’à Un beau matin, le film nouveau venu dans nos salles. Juste reconnaissance et belle consécration pour une cinéaste que, pour ma part, je n’ai cessé, depuis le tout début, de plébisciter, tant j’ai apprécié, à chaque sortie de film, la finesse dont elle fait preuve en mettant en scène des pans de sa propre histoire et de ceux de ses proches. Chez elle, à chaque fois, derrière l’apparente simplicité de récits limpides transparaissent de multiples nuances, de subtiles suggestions, d’intenses résonances qui semblent s’inspirer de ce que font les grands compositeurs de musique ou, pourquoi pas, les philosophes, ceux, en particulier, dont les œuvres forment un tout cohérent, chaque élément étant en correspondance avec tous les autres.

De philosophie, de littérature et de musique, il en est précisément question dans Un beau matin, film qui semble être la suite ou le prolongement de L’Avenir, que Mia Hansen-Løve avait réalisé en 2016. Dans ce film, la cinéaste s’était inspirée de l’histoire de ses propres parents, tous deux professeurs de philosophie, pour composer un scénario d’une remarquable habileté dans lequel les débats d’idées prenaient corps, d’une certaine façon, au gré d’événements et de décisions prises ou à prendre. Or, nous retrouvons, précisément, dans Un beau matin, un professeur de philosophie du nom de Georg Kinsler (Pascal Greggory, époustouflant), mais âgé et atteint par une maladie dégénérative qui lui fait perdre ses capacités mémorielles ainsi qu’une partie de son champ de vision. Si ce n’est pas la maladie d’Alzheimer, les symptômes n’en sont guère différents. Pour veiller sur lui, pour prendre les décisions qui s’imposent, heureusement il y a, pour une petite part, Françoise (Nicole Garcia), son ex-épouse, mais surtout Sandra (Léa Seydoux, cheveux coupés très courts, incarnant son rôle avec une généreuse subtilité), l’une de ses filles, elle-même mère d’une fillette prénommée Linn (Camille Leban Martins).

Or, un jour où Sandra veut rendre visite à son père, elle se heurte à la porte fermée à clé de l’appartement de ce dernier. Elle sonne, puis appelle Georg de vive voix, mais les réponses qui lui parviennent à travers la porte close sont confuses : l’homme ne semble plus savoir ni où trouver la clé ni, l’ayant tout de même trouvée, comment ouvrir la porte de l’appartement. Les plus simples gestes de la vie quotidienne deviennent, pour lui, comme des montagnes à franchir. Pire que tout, l’ex-professeur de philosophie ne sait plus rien des auteurs qu’il a tant lus et tant aimés : les noms d’écrivains qu’égrène Sandra, Annemarie Schwarzenbach, Klaus et Thomas Mann, ne lui disent plus rien. Toute une vie consacrée à lire, étudier, enseigner, tout est comme évaporé, perdu, anéanti. Sauf, peut-être, dans le souvenir de celles et ceux qui ont été les proches ou les élèves de Georg, ce que prouve une belle scène de la suite du film. En effet, l’état de santé de Georg devenant de plus en plus préoccupant, se pose, inévitablement, la question de le placer en EHPAD. Avec, pour conséquence, une décision à prendre qui, en l’occurrence, n’a rien de dérisoire : que faire des nombreux livres de Georg ? Sandra le rappelle opportunément, sa bibliothèque, c’est toute sa vie. Il lui semble même que son père est là, plus vivant par l’esprit parmi les livres que corporellement à l’hôpital et, plus tard, dans les deux EHPAD dans lesquels, tour à tour, il est accepté.

La difficulté de trouver un établissement qui convienne, à la fois pour le malade mais aussi d’un point de vue financier, est parfaitement intégrée dans le film, et Dieu sait si elle entre en résonance avec l’actualité, les scandales des traitements infligés aux résidents de certaines maisons ayant suffisamment défrayé la chronique il y a peu.

À tous les soucis auxquels est confrontée Sandra, traductrice de son métier et, ne l’oublions pas, mère d’une fillette, à tout cela s’adjoint l’histoire de sa rencontre et, bientôt, de sa liaison amoureuse avec Clément (Melvil Poupaud), un homme qu’elle avait connu autrefois puis perdu de vue. Elle le retrouve donc et tombe sous son charme. Or, si elle-même n’était plus en couple avec qui que ce soit depuis plusieurs années, il n’en est pas de même pour Clément, marié et père d’un garçon. Pour Sandra, alors que son père est en total déclin, c’est le commencement d’une histoire, d’un amour, mais qui, par la force des choses, parce que Clément n’est pas entièrement libre, génère son lot de peines et de souffrances autant que de joies et de bonheurs.

Ainsi avance l’intrigue du film, dans un va-et-vient entre les visites à Georg et les rendez-vous avec Clément, sans jamais générer de lassitude tant la réalisatrice est habile à renouveler le point de vue et à introduire des questionnements qui ne peuvent que susciter l’intérêt. C’est le cas, par exemple, quand l’éventualité de l’euthanasie est posée. Non pas pour précipiter le décès de Georg, puisque celui-ci n’est plus en mesure de donner son consentement, mais pour ce qui concerne Sandra elle-même qui supplie Clément de lui faire obtenir ce droit si, dans le futur, elle se retrouvait dans le même état que son père.

Pour finir, je me dois de souligner combien la réalisatrice se montre adroite chaque fois qu’elle opte pour la suggestion, et c’est souvent le cas. Tout spectateur attentif en percevra sans peine les raffinements. Ainsi quand Sandra, persuadée de bien agir, veut faire entendre à Georg le deuxième mouvement de la sonate pour piano en la majeur D. 959 de Schubert. Or, cette musique, qu’il aimait tant auparavant, il ne la supporte plus, peut-être parce qu’il y trouve comme un reflet de son propre désarroi. Ou encore lorsque, à l’EHPAD, des scouts rassemblent les résidents pour leur chanter des chansons, en commençant par Mon amant de Saint Jean. Cette fois, c’est Sandra qui trouve insupportable de devoir écouter cette chanson dans ce cadre-là. Des scènes de ce style, il y en a d’autres encore : on aurait tort de les considérer comme de simples scènes de transition ; au contraire, ce sont elles qui font entrevoir l’intériorité des personnages. Mia Hansen-Løve, en réalisatrice douée, connaît parfaitement leur valeur et sait qu’il est important de les intégrer au film. Elle le fait en usant de finesse, laissant ainsi au spectateur son espace de compréhension, d’intuition ou d’imagination.

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Films
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