Un film de Blandine Lenoir.
Alors que l’Assemblée nationale vient de se déterminer en faveur de l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, ce film arrive sur nos écrans pour faire mémoire de la lutte de femmes qui, en 1974, un an avant le vote de la loi Veil, avaient pris le parti de faire bouger les choses, non pas dans la clandestinité, mais au vu et au su de tous. Créé en 1973, le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) regroupait des femmes, mais aussi des hommes, en particulier des médecins, recevant des femmes enceintes dans la détresse pour leur prodiguer des conseils et pratiquer des avortements au moyen d’une méthode, venue des États-Unis, beaucoup plus sûre que les méthodes archaïques, celles des « faiseuses d’anges », qui se soldaient souvent par des hospitalisations en urgence et, trop fréquemment, par des décès.
C’est cette réalité-là que l’on doit avoir à l’esprit, plutôt que simplement se prononcer pour ou contre l’avortement, comme on le fait encore trop souvent. Certes, le film de Blandine Lenoir est ouvertement militant, mais il se présente d’abord à nous, spectateurs, comme une galerie de portraits féminins (et masculins), à la fois dans une dimension individuelle et dans une dimension collective, qui ne laissent pas indifférent. D’abord, il y a Annie Colère (Laure Calamy), ouvrière dans une usine de matelas, maman de deux enfants, pour qui il n’est pas envisageable d’en avoir un troisième. C’est la raison pour laquelle elle entre en contact avec des bénévoles du MLAC (Zita Henrot, Rosemary Standley, India Hair), réunies dans un local, à l’arrière d’une librairie. Deux autres femmes enceintes sont également présentes, en détresse elles aussi, l’une d’elle expliquant qu’elle a déjà six enfants et que son mari ne veut pas entendre parler de pilules.
Or, dans ce lieu, à la permanence du MLAC, ces femmes trouvent ce dont elles ont toujours été privées : l’écoute, la bienveillance et, même, la tendresse. Grâce au soutien d’un médecin (Éric Caravaca) qui, dans une scène émouvante, explique à Annie les raisons de son engagement, elles peuvent acheter les médicaments nécessaires afin que l’avortement puisse être pratiqué. Ces scènes-là, justement, celles des avortements, sont toutes filmées délicatement : il y a là un médecin qui explique ce qu’il fait, il y a aussi la présence rassurante d’une des militantes du MLAC, en particulier Monique (Rosemary Standley) qui, de sa douce voix, chante une mélodie grecque. Plus tard, Annie expliquera qu’elle a trouvé là bien plus d’attention et de générosité que lors de ses deux accouchements en maternité.
Or, précisément, ce qu’Annie a vécu à cette occasion fait bientôt basculer sa vie. Elle qui, sur son lieu de travail, ne se souciait pas d’engagement politique, se décide à donner de son temps pour le MLAC en tant que bénévole, pour accueillir et accompagner, elle aussi, des femmes en souffrance, de plus en plus nombreuses, comme cette jeune fille de 17 ans qui ne sait pas même expliquer comment elle est tombée enceinte. L’ignorance de beaucoup de femmes est grande et c’est un des objectifs du collectif que de leur faire découvrir leur propre corps. Annie, elle aussi, en apprend des choses, soit grâce aux bons soins de Zita Henrot soit en lisant un livre sur « l’orgasme au féminin » (qu’elle surprend bientôt son mari en train de lire à son tour) !
Tout ne va pas de soi, bien évidemment, et le film est émaillé de débats et de discussions, y compris après l’adoption de la loi Veil (qui ne résout pas toutes les difficultés des femmes et risque de les abandonner à la froideur des hôpitaux). Or, précisément, ce que le film de Blandine Lenoir propose de plus beau, c’est ce qu’on appelle sororité, quelque chose comme un rendez-vous avec la tendresse. Et « la tendresse, c’est politique », affirme Annie. Une tendresse qu’elle met à l’œuvre en tant que bénévole du MLAC, mais aussi à la maison, en particulier avec sa grande adolescente de fille. Les droits des femmes, cela se transmet d’une génération à l’autre.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.