Un film de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk.
Dès le premier plan, ce film ukrainien surprend et dépayse. Nous ne sommes pourtant pas au bout du monde, mais dans une région rurale de l’Ukraine proche de la frontière roumaine. Et, cependant, à plusieurs reprises, le film nous déconcerte. Ainsi, dès le début, quand apparaît à l’écran un homme revêtu d’un habit de paille et portant un masque grimaçant sur la tête qui se met à grogner comme un animal. Aussitôt, nous voilà mis en présence d’un des aspects les plus surprenants de ce long-métrage : la survivance, dans cette région d’Ukraine où le christianisme paraît pourtant bien implanté, de rites et de fêtes païens. S’ils passent du temps à l’église, s’ils vont à la messe, les habitants du village que l’on voit à l’écran, en tout cas une partie d’entre eux, préparent également avec soin le Malanka, un carnaval païen auquel ils se livrent chaque année et durant lequel ils revêtent, précisément, des habits de paille et des masques figurant des animaux.
L’homme qui est apparu à l’écran au début du film, lui, n’a revêtu ces oripeaux que pour faire à ses proches la surprise de son retour. C’est Leonid, un colosse surnommé Pamfir (ce qui veut dire « Pierre »), qui revient au pays après une longue absence, bien décidé à ne plus se livrer aux trafics et aux contrebandes qui sont monnaie courante dans cette région proche de la Roumanie. C’était précisément pour échapper à cette servitude hautement risquée qu’il s’était résolu à aller travailler en Pologne. De retour chez lui, il ne veut plus que se consacrer à sa femme et à son fils, afin que celui-ci puisse mener une vie honnête et digne. Leonid en fait le serment : désormais, il vivra dans le droit chemin, il ira même à l’église avec sa femme s’il le faut, lui qui, contrairement à elle qui est très dévote, pense que Dieu n’a été inventé par les hommes que « pour boucher les trous » de ce que leur raison ne leur permet pas de comprendre.
Or, comme dans les tragédies de l’Antiquité grecque, c’est le destin, et lui seul, qui semble mener la danse. Les bonnes résolutions de Leonid se heurtent bientôt à la réalité locale, d’autant plus que le père se trouve forcé de réparer une lourde faute commise par son fils. Le voilà contraint de gagner une forte somme d’argent et, de ce fait, quasiment forcé de devoir faire ce qu’il s’était pourtant juré de ne plus accomplir, c’est-à-dire de la contrebande pour un mafieux local. De là à s’engager dans un engrenage qui pourrait lui être fatal, il y a peu, tant il y a d’individus violents capables des pires exactions dans un milieu où l’on ne s’encombre guère de scrupules.
Il convient de saluer la maîtrise formelle du réalisateur ukrainien qui a pris soin de composer chacun des plans du film comme le ferait un peintre, les mouvements de caméras en plus. Chaque scène impressionne, pas une ne paraît négligeable. Quand tant de savoir-faire est au service d’une histoire aussi forte que celle qui est ici proposée, il ne fait aucun doute que le cinéma mérite d’être désigné sous l’appellation de « septième art ». C’est même du grand art. Un grand art au service d’une histoire somme toute intemporelle, celle d’un père se sacrifiant pour que son fils puisse mener une vie meilleure que celle qui lui a été, à lui, pour ainsi dire, imposée.
8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.